Bonjour !
Aujourd’hui, j’ai envie de comment c’est gênant de faire des trucs nouveaux et d’être soi, de l’importance de réapprivoiser l’inconfort, encore et encore. Le tout agrémenté d’une anecdote où tu vas être contente de ne pas avoir été assise à côté de moi dans le métro vendredi dernier.
Mais avant de commencer, quelques nouvelles :
🤓 ça me manque de ne pas avoir un petit groupe suivi qui avance ensemble sur un projet, j’ai très envie de relancer un programme sur 6-8 semaines, en live (avec replays). Ce serait quoi les sujets sur lesquels vous aimeriez avoir un accompagnement ? Les trucs que vous avez vraiment envie de réaliser mais qui n’avancent pas comme vous voulez ?
🎤 Nouveau podcast : je reprends avec bonheur les interviews de femmes autrices et artistes. J’ai eu le bonheur d’interviewer Laura Nsafou et tu recevras l’épisode cette semaine, pour commencer l’été avec créativité et féminisme
✍️ Atelier flash d’écriture : demain (mardi 25 juin) à 12h a lieu notre dernier atelier flash de la saison (pendant l’été je vais voir comment continuer à vous proposer des formats chouettes, mais les ateliers flash mensuels reprendront en septembre). Il sera un peu particulier : l’objectif de cet atelier c’est que tu repartes avec un projet d’écriture personnel et excitant pour l’été.
😍 J’ai écrit mon premier livre ! Depuis quelques mois je travaillais sur un manuscrit, c’est la première fois que je me lance dans un projet de ce style, à la fois autobiographique, poétique et politique. J’ai passé un moment merveilleux à le découvrir en l’écrivant, et je suis maintenant en train de démarcher des maisons d’édition pour le faire publier. Je te parlerai plus en détail de tout ce qui a permis à ce livre de naître dans les semaines à venir.
Cette semaine, je suis allée à Paris pour voir une copine et mon filleul, que je n’avais pas vu depuis au moins 4-5 ans (vu que là il a 9 ans, je suis pas en train de choper le prix de la marraine la plus présente de la décennie…).
Si notre relation était si distendue, c’était parce que je ne savais pas comment faire pour être la marraine de cette adorable petite créature, surtout en habitant pas dans la même ville, et sans avoir d’enfants moi-même qui auraient pu me servir d’alibi pour l’emmener en vacances ou l’inviter.
J’étais gênée.
Et du coup je n’ai rien fait. Pendant des années.
Vendredi, j’étais justement à Paris pour le voir. Incroyable veine, c’était aussi le marché de la poésie, et je rêve de publier mon livre dans une des maisons d’édition présentes au marché.
J’ai imprimé le manuscrit, et puis j’ai écrit des petits post-its mignons pour coller dessus avant de les glisser dans des enveloppes. J’ai mis 20 minutes à écrire ces foutus post-its parce que je me demandais quoi mettre, si c’était cucul ou pas, si le jeu de mots qui m’avait semblé drôle dans le métro 10 minutes plus tôt tenait vraiment la route ou s’il était l’équivalent d’un aller simple vers la poubelle.
J’étais gênée.
Alors j’ai mis 3 post-its sur 3 des manuscrits, j’ai laissé les autres sans rien.
J’arrive au marché de la poésie et il y a plein de stands, plein de livres, plein d’auteur·ices. Je m’approche pour parler, et je me dis que je devrais peut être acheter des livres à chaque stand pour me donner une autre raison d’être là mais j’ai pas les thunes pour ça et je suis pas là pour ça je suis là pour leur proposer mon manuscrit ce truc là dans mon sac qui pèse des tonnes de trouilles et d’espoir et d’attentes :
la. gêne. absolue.
Et finalement j’ai donné mon manuscrit à une personne, je l’ai envoyé à 3 autres, et j’ai quand même acheté deux livres qui avaient l’air tellement bien.
Je pourrais enchaîner les anecdotes comme ça, parce qu’il y en a des pelletées. La gêne et la honte sont des cousines de la peur, et elles viennent se jeter en travers de la route quand je dois faire des choses que j’ai jamais fait, ou que je montre une partie vulnérable de moi (que ce soit joyeux ou pas).
Je l’imagine comme la gardienne des sentiers battus. A chaque fois que je m’apprête à sortir de la route goudronnée, emprunter un petit chemin ou me perdre dans un champ aux hautes herbes encore un peu humides de rosée, elle est là avec un gros panneau rouges entouré de néons qui crient “DANGER DE HONTE SUPRÊME. FAITES DEMI-TOUR”
Une expérience puissante : être malpolie
Sauf que, ces derniers temps j’ai remarqué que ma vie pouvait se rétrécir aux entournures, à force d’écouter cette voix : j’avais la trouille d’aller manifester la semaine dernière parce que j’étais toute seule et que je ne sais pas quoi faire de moi au milieu d’une foule. J’avais honte d’écrire et d’envoyer une méthodologie d’ateliers à l’autrice que j’ai rencontré en Equateur parce qu’à tous les coups, elle fait déjà ça dix fois mieux que moi. J’avais honte de relancer pour la troisième fois une poétesse que je rêve d’interviewer. Je me sentais pathétique parce que je suis dans une relation non-exclusive sexuellement et que ça me fout les jetons. Je me trouvais nulle quand je changeais d’avis, ou quand certains de mes plans ne se réalisaient pas. J’osais pas avoir confiance dans mon ressenti face à une boss débordée et pas sympa, et je me disais “non mais ça doit être moi qui merde.”
La gêne est un sentiment normal. La peur aussi. Ce qui est appris et conditionné c’est le message qu’on y attache.
Derrière le panneau de la gêne, il y a écrit “C’est la première fois que tu fais ça, sois gentille avec toi”. Derrière la peur de faire un truc il y a “Écoute et ne te force pas si c’est pas pour toi”. Derrière la honte, il peut y avoir l’humilité. Derrière les doutes, la curiosité.
Ce ne sont pas ces sensations ou les émotions le problème, mais la façon dont on a appris à les éviter ou à les interpréter.
Depuis quelques semaines, je fais donc une expérience : j’arrête d’être sympa par réflexe. Quand quelque chose me fait chier, je le dis. Quand je suis en colère, je le dis et je le montre. Je n’essaie pas de lisser d’avance ma réaction, ou de faire tout un exercice de respiration ou de prise de recul pour qu’une version polissée de ce que je ressens sorte.
Ça ne veut pas dire que je deviens cruelle ou méchante. Mais je suis curieuse de ces sentiments que j’ai beaucoup jugés auparavant. J’apprends à me redresser même quand je suis gênée ou que j’ai peur de ce que ça va engendrer chez les autres.
Dans le métro, par exemple, il y avait cette femme, qui parlait très fort, téléphone en haut parleur. Et il est 17h, la rame est bondée, tout le monde est fatigué mais les gens s’échangent des regards exaspérés sans lui dire. Je la regarde droit dans les yeux et je lui fais signe que c’est chiant. Elle me dit “Désolée” puis continue sa conversation. 4 stations plus loin elle y est encore, et là je lui parle directement. Sans être polie, ni gentille. Je dis “Il est en train de mourir ce monsieur ? C’est pour lui prodiguer les derniers soins que vous avez besoin de lui parler là ?”. Elle est gênée à son tour, elle essaie d’arrêter le haut parleur, s’en suit un bazar, elle finit par raccrocher, et elle veut se justifier “Non mais après je vais au théâtre, c’est très urgent cette conversation”.
J’ai les joues rouges, normalement je ferai un sourire poli mais je ne me démonte pas : “Non. Si c’est vraiment urgent, alors vous descendez et le théâtre attend. Si le théâtre est plus important, alors c’est pas si urgent. Merci d’avoir coupé, c’était pénible.”. Et je me tourne parce que je n’ai pas envie de poursuivre et de l’écouter se justifier.
Les personnes assises à côté m’ont remerciée, elles faisaient la hola avec leurs yeux haha.
C’était puissant de faire ça. De sentir que je posais les limites, et non, ce n’était pas propre et parfait, mais c’était posé. Ça paraît une toute petite anecdote, mais j’avais le coeur qui battait en le faisant. Et je sais que c’est une habitude à prendre, et à réapprendre de poser mes limites et d’accepter que ça soit inconfortable. C’est pas grave. J’ai pas besoin que tu sois d’accord avec moi, ni que tu me trouves sympa, juste que tu respectes.
Euh, super pour toi, mais c’est quoi le rapport avec la création ?
Tout !
Il y a une dose de sans-gêne nécessaire pour créer, pour écrire puis pour imprimer son manuscrit et aller dire à des gens “je pense que vous devriez lire ça”.
Il faut se donner un droit d’exister que la plupart d’entre nous ne s’autorisent jamais, ou très très conditionnellement. Surtout les meufs, vu qu’on est sur-entraînées à la gentillesse et à avoir des personnalités aussi lisse qu’un chiot de compétition.
Gentille et lisse, c’est la mort de ta créativité. Non pas que tu peux pas être un·e humain·e sympa, mais parce que pour créer, tu vas devoir te donner du temps et de l’importance. C’est pas gentil, de se faire passer en premier. Et c’est pas lisse, ce que tu as dans les tripes.
Créer ça demande de flirter avec la peur et la gêne. C’est hyper sans-gêne de dire “Non je peux pas, ce soir je bosse sur mon roman”. Surtout si t’as pas été publié·e et que tu te dis que c’est pas ton job.
C’est flippant de mettre ses tripes, ses passions, ses bizarreries et ses obsessions sur la table.
Ça demande une sacrée dose de courage et d’amour de soi de dire “Je vais écrire un livre pour enfants sur la magie et le pouvoir” ou “je vais écrire un livre d’horreur sur un mec qui se fait kidnapper et péter les chevilles” ou “je vais écrire des poèmes sur la télé-réalité et l’émission les marseillais”, et puis de le faire.
Je le dis souvent mais dans une société qui est obsédée par la productivité, la rentabilité et l’utilité, c’est très ovairu (le féminin méconnu de couillu - et oui j’ai cherché “équivalent des testicules chez les femmes” sur Google par souci de précision anatomique) de réclamer son temps pour explorer et partager son monde intérieur. Pas pour gagner des sous, même pas pour contribuer à la grandeur de l’industrie de la culture, mais parce que c’est beau, que ça fait du bien, et que c’est important, mais pas à l’endroit où on nous a dressés à trouver l’importance.
Vive la gêne.
Vivent la timidité des premières fois, les tentatives douteuses, les genoux qui flageolent et la voix qui yoyotte.
Gloire aux fausses notes, aux phrases malhabiles, aux colères qui sortent pas exactement comme il faut, aux rendez-vous ratés et aux déclarations embarrassantes d’amour ou d’amitié.
Bravo d’avoir dit “je t’aime”, d’avoir dit stop, d’avoir dit encore, d’avoir dit bordel de cul c’est pas possible, d’avoir osé toutes les petites et les plus grandes fois.
Je te souhaite encore plein de moments gênants, parce qu’ils sont des moments de rencontre avec toi, du hors-piste pour ton âme.
Et qui sait ce qui peut se passer quand on ose lancer nos mollets entre les herbes folles et les fleurs sauvages ?
Bonne semaine,
Laure