Une de mes proches amies vient de mourir d’un cancer. Et peu de temps avant qu’elle l’apprenne, sa boîte avait fait faillite. Dans le genre la vie qui s’acharne, on n’est pas mal.
Je l’ai vue essayer toutes les portes et fenêtres et cheminées et tout ce qu’elle pouvait, pendant 2 ans. Elle n’a pas lâché, elle a cherché des solutions et elle a aussi écouté ce qui se passait à l’intérieur. Elle a cherché du sens, et accepté qu’il n’y en ait pas. Elle a vécu ses dernières années en choisissant, au mieux de ses possibilités, comment elle avait envie que ça se passe, en réajustant à chaque nouvelle information. Et puis elle est morte. Malgré tous les efforts, malgré la jeunesse, malgré l’amour, malgré l’ouverture, malgré la volonté, malgré tout.
On a tous l’espoir qu’il y ait une solution, planquée quelque part, et que les gens qui se noient sont ceux qui ont pas trouvé le compartiment secret à bouée de sauvetage.
En conséquence, les gens malades se tapent une quantité de conseils non sollicités. Tout le monde a une tante qui a vu ce mec, au fond du Berry, il lui a passé de la sauge médicinale en récitant une incantation des indiens des Appalaches et elle a plus eu une trace du cancer. Et puis ya cette meuf, qui a fait une expérience de mort et est revenue d’un cancer incurable en quelques jours. Et ya aussi la voisine, qui s’en est sorti grâce à la médecine traditionnelle et un peu d’acupuncture, et qui trouve que tout le reste c’est des superstitions et de l’arnaque.
Tout le monde est tellement mal à l’aise face à la maladie, surtout si elle vient avec risque de mort, que c’est rassurant de se dire qu’il existe une solution, quelque part, il suffit juste de la trouver.
C’est rassurant de croire qu’on peut “résoudre” la vie.
Mais c’est faux. L’alternative beaucoup plus flippante mais libératrice, c’est d’accepter pleinement ce qui est là, puis d’agir en partant de là, pas en cherchant à résoudre ça.
Je me souviens d’une conversation avec mon amie, elle venait de rencontrer une autre patiente, du même âge. Ça faisait un an qu’elle était en traitement, et cette jeune femme venait juste de découvrir son cancer.
Ma pote se sentait un peu abattue, et ce jour là elle s’est demandé si elle en faisait assez. Elle m’a dit :
Quand je la vois, elle est tellement combattive, elle veut s’en sortir, elle est en train de mettre plein de trucs en place, et moi je me sens fatiguée, j’ai l’impression de plus avoir cette énergie à mettre. Je me demande si je me bats assez.
On en a parlé, on s’est demandé si parfois, on se bat pas trop. Toute cette énergie mise à combattre ce qui est là, à voir la maladie, ou la dépression, ou les évènements extérieurs comme des ennemis à combattre. Ça donne une illusion de faire quelque chose, mais on regarde au mauvais endroit. On essaie de changer la fin de l’histoire, comme s’il fallait se réveiller du cauchemar. La seule chose qu’on peut changer, c’est ce qu’on vit dans l’instant. C’est la différence entre accepter et réagir.
3 réflexes face à l’inacceptable
Quand quelque chose de dur voire de terrible nous tombe dessus, on a tous des réflexes qui vont s’activer.
Je vois 3 grandes familles de réaction (c’est-à-dire notre façon de répondre en automatique, sans faire vraiment d’espace pour le truc qui vient de se passer) :
Il y a les warriors. Celleux qui versent une larme en regardant l’horizon, puis reprennent le combat, on va quand même pas se laisser abattre. Iels sont toujours en mouvement, ils sortent des solutions de nulle part, et tiennent le coup tant qu’ils peuvent encore lutter contre quelque chose (ça peut même être le désespoir : “on va quand même pas laisser cette situation nous prendre notre joie de vivre”)
Il y a les victimes. La phrase clé des victimes c’est “pourquoi moi ? pourquoi maintenant ?”. Elles sont abattues, comme si on venait de leur couper le sifflet en plein match, elles contemplent l’injustice de la situation, retournent l’histoire dans tous les sens pour comprendre, et finalement passent leur temps à lutter contre la réalité aussi, comme les warriors, mais plutôt en refusant d’accepter que c’est arrivé. Les victimes ont toujours beaucoup d’allié·es à qui iels parlent pour renforcer leur vision des choses.
Il y a les furtif·ves. Iels activent un mode “circulez, ya rien à voir”, et décident de faire comme si de rien n’était, puisque de toutes façons, qu’on se plaigne ou pas, ça changera rien. Ce sont les spécialistes de la fuite et du refus catégorique de ce qui se passe, jusqu’à la dernière minute. Une autre version des furtifs, c’est les faux-sages. Iels souffrent mais reformulent tout de suite ça en un truc intelligent ou intéressant, pour rendre la réalité compréhensible et digérable “non mais tu vois c’est dur, mais j’apprends tellement” sauf que ça sonne faux. Ça peut ressembler à de l’acceptation, mais ça n’en est pas.
On a tous un ou plusieurs réflexes qui s’activent face à une situation qui nous choque, et il n’y a aucun jugement à avoir là-dessus. C’est ton mécanisme de protection qui vient faire son job : t’aider à dealer avec la situation. Même une victime, qui pourrait avoir l’air de ne pas gérer, gère au mieux de ce qu’elle connaît : elle reçoit du soutien, elle continue à refuser que ce qui se passe soit en train de se passer, et elle se préserve de la réalité de cette façon.
Souvent, on confond certains de ces mécanismes de protection avec le fait de prendre les choses en main et de se bouger. Pour moi, il n’y a pas de grande différence entre warrior, victime et furtif·ve.
Les trois sont des subterfuges qu’on utilise pour ne pas accepter ce qui est là, parce que c’est trop dur. Et encore une fois, des fois ça l’est, cette vie n’est pas un concours de spiritualité ou de sagesse, si la seule chose possible c’est la lutte, ou le chouinage, c’est comme ça.
Mais il existe une autre voie, qui permet de sortir du cycle : accepter l’inacceptable.
Reconnaître ton mode réactif
Je crois que souvent, on a trop peur d’accepter une situation qui est déjà là, comme si c’était lui donner raison. On confond accepter avec renoncer, ou être dans la passivité. Pour voir la différence, c’est très simple : ça n’a pas le même goût.
La colère, le déni, le chouinage, ce sont des goûts, des sensations en particulier. La passivité c’est un goût aussi, comme du carton pour moi. Et l’acceptation, ça le goût de l’eau claire dans mon système. C’est la paix. Si les goûts te parlent pas, il y a aussi les sensations physiques : l’acceptation amène un soulagement total, comme quelque chose qui se relâche (très différent de tomber au fond, comme dans la passivité ou le désespoir).
Chacun aura ses propres curseurs, mais je t’invite à prendre une situation concrète avec laquelle tu luttes en ce moment. Ça peut être grand ou petit, peu importe, ce qui compte c’est qu'à l’intérieur de toi ça dise “non mais c’est pas possible”.
Quand tu as trouvé, regarde où tu te situes et quel goût ça a :
Le goût / le ressenti warrior :
Le goût / le ressenti victime :
Le goût / le ressenti furtif :
Le goût / le ressenti passif :
Tu peux jouer avec plusieurs situations : des fois où tu t’es mis en victime, d’autres où tu t’es mise en déni, etc.
Il y en a sans doute avec lesquels tu as plus de familiarité que les autres, c’est logique, ça prendra peut-être plus de temps de trouver des exemples précis pour certaines sensations.
Pas la peine d’attendre un énorme coup dur, tu as l’occasion de pratiquer l’acceptation des dizaines de fois par jour : quelqu’un qui te coupe la priorité et ça te fait partir en colère, un proche qui ne décroche pas alors que tu as besoin de parler, une conversation que tu cherches à éviter, la fatigue qui traîne depuis des semaines, ta collègue qui est une sacrée conne et tu pourrais en parler des heures, ton enfant pour qui tu t’inquiètes et tu sautes à la rescousse dès qu’il vit de l’inconfort.
Tout ce qui te provoque, c’est un évènement que tu refuses à un certain niveau. Même si ça paraît anodin. C’est ton terrain de jeu. La porte vers toi-même qui se rend disponible, des dizaines de fois par jour. Et parfois, si tu ne réponds pas, la vie frappe très fort à la porte, mais si tu y prêtes attention, tout est là à longueur de journée.
Le premier cadeau, c’est de reconnaître quand ça lutte. Parfois, ce n’est pas possible de faire plus tout de suite, ou tout·e seule. Tu peux accepter que ça lutte, et tu brises déjà le cercle vicieux.
Familiarise toi avec le goût de la réaction, du refus, chez toi. C’est la première étape pour accepter, et retrouver de la liberté et de l’espace, même face à l’inacceptable.
Et peut être, si tu sens que c’est disponible, tu peux explorer :
Le goût / le ressenti acceptation :
Une fois que tu as déjà appris à reconnaître la lutte, on va pouvoir aller visiter l’acceptation de plus près, et voir pourquoi ça ne sert à rien, quand on te dit “lâche prise” ou “accepte ce qui est là” (à part donner envie de filer des baffes et de jeter des objets contondants)