Bonjour !
Bienvenue aux nouvelles personnes qui arrivent sur cette newsletter, c’est un plaisir de voir cette communauté s’agrandir, tranquillement, au rythme des hasards et du bouche à oreille.
Je ferai un post de rentrée la semaine prochaine, pour en dire un peu plus sur ce qui se prépare dans les mois à venir, mais déjà voici ce qu’on fait ici, ensemble : on se donne le temps et l’espace pour écrire, créer et explorer les grandes questions sans réponse, avec à venir des ateliers d’écriture en live, des invitations et exercices pour écrire des petits livres. Tout ce qui permet de prendre soin et d’écouter cette partie créatrice et sensible en nous. Je parle aussi de santé mentale, avec à venir une série sur les troubles de l’attention (aussi connus comme TDA ou TDAH), l’autisme et les neuro-atypies qu’on découvre à l’âge adulte.
Tu peux déjà bloquer dans ton calendrier la date du mardi 24 septembre à 12h, pour notre prochain atelier live, sur le thème : Se laisser surprendre par sa propre écriture, et sortir de ses routines.
Les ateliers live sont réservés aux abonné·es payants, dispos en replay par la suite, et permettent de soutenir mon travail sur ce site. Si ça te dit :
Est-ce que tu en fais trop ?
Et aujourd’hui, j’ai envie de parler de cette idée d’en faire “trop”. Je ne sais pas si c’est une phrase que j’ai beaucoup entendue, ou ressentie, mais en tous cas, je suis arrivée à l’âge adulte avec une très ferme conviction que j’en faisais “trop”, surtout en groupe, et aussi que j’avais trop de passions, trop d’envies, trop d’émotions (et trop besoin de dormir aussi).
Je me souviens d’un soir à dîner avec des collègues, je racontais des blagues et on était dans un groupe en train de rigoler comme des fous, puis au moment où je suis partie aux toilettes, une des filles de l’équipe me dit avec un grand sourire “Tu me rappelles vraiment ma soeur, c’est comme elle, quand t’es là, c’est impossible d’exister”.
Le contraste entre le sourire sur son visage et la dureté de ses mots a réveillé une sensation sourde, un genre de souvenir qui n’est pas précis mais qui parle à plusieurs voix : “tu prends trop de place”, “tu fais trop de bruit”, “tu peux pas arrêter de gigoter”, et puis “j’ai trop d’émotions”, “je réfléchis trop”, “je suis trop exigeante”…
Je me souviens de m’être sentie un peu honteuse, je n’avais pas l’impression de prendre toute la place, juste de partager un moment chouette, j’ai quand même cherché à savoir si d’autres ressentaient la même chose, pour voir si peut-être j’avais sans m’en rendre compte saoûlé toute la table. Ce n’était pas le cas.
Pour les personnes neuroatypiques, en particulier les gens qui ont un TDA(H), ce sont des croyances qu’on se trimballe très souvent, parce que notre façon de fonctionner ne rentre pas dans les cases et ça peut donner lieu à beaucoup d’incompréhensions et de critiques extérieures, qu’on finit par intérioriser (c’est le “tu” qui se transforme en “je”).
Ça peut donner lieu à des tortures mentales sans fin, où l’on interprète la moindre expression de visage, où on est en vigilance sur son propre comportement, et, pour les personnes non-diagnostiquées, tout un tas de comportement épuisants que l’on appelle masquer ou masking en anglais, c’est-à-dire des stratégies de suradaptations pour ne pas se faire (re)jeter par les autres.
La bonne nouvelle, c’est que :
Se faire diagnostiquer, ou toute démarche pour se connaître et s’apprécier tel·le que l’on est vont aider à mettre de la douceur et à s’apprivoiser puis s’aimer
Il y a un domaine dans lequel on peut explorer et apprendre à se reconnecter à soi, même les parties qu’on a appris à masquer : la création.
(mais oui c’est deux bonnes nouvelles !)
Il faut être “trop” pour créer
Pour créer, et montrer ce qu’on crée à d’autres, il faut justement exister pleinement. Il faut se dire “ok, je prends du temps pour donner forme à une histoire, une image, une scène ou juste une envie que j’ai à l’intérieur”. C’est un acte courageux et pas facile, ça peut se faire sans attendre la permission des autres, et sans attendre d’avoir un talent particulier non plus. Juste parce qu’on a envie.
On a grandi dans un contexte capitaliste qui se nourrit à la fois de notre sentiment d’inadéquation (trop ou pas assez) et qui valorise certaines activités très largement au dessus des autres : celles qui rapportent des thunes ou du pouvoir. On grandit donc avec ce système en tête, et ça crée tout un tas de fausses idées sur l’art et la création, et sur les personnes qu’on appelle “artistes”. Notamment l’idée qu’il faut que ça rapporte pour être un·e vrai·e artiste, et l’idée qu’il faut absolument du talent voire un don pour avoir le droit d’y consacrer du temps.
Le musicien Jacob Collier (si tu ne le connais pas, va faire un tour sur Youtube, je te recommande la version acoustique de Little Blue et une chanson qui s’appelle Hideaway) est considéré comme une des personnes les plus innovantes en matière d’harmonie et une source d’inspiration pour de très nombreux musiciens et chanteurs (le mot génie est souvent employé pour parler de lui mais j’en ai marre de ce terme réducteur et chiant). Il explique qu’en école de musique, il se faisait recadrer parce qu’il en faisait trop, on lui demandait d’être plus minimaliste, de faire des choses plus simples. Le fameux adage less is more. Mais il n’arrivait pas à se retenir. Il dit :
“Une imagination hyperactive est un challenge dans le cadre de l’éducation. C’est difficile à gérer et difficile d’être compris (…). Mais less is more c’est vrai seulement si tu sais ce que more est. Parce qu’alors tu peux décider consciemment de faire un pas en arrière par rapport à ça.”
Il encourage les artistes à aller à fond, et de suivre leur imagination, leurs envies, leurs explorations. D’aller jouer et découvrir ce “trop” avant de se calmer ou canalyser en quoi que ce soit.
Certes, Jacob est typiquement l’exemple d’un artiste qui vit de sa musique, et qui est né dans un contexte particulièrement favorable à ce développement, avec une mère artiste et musicienne elle-même, mais ne nous arrêtons pas là.
Rick Rubin, producteur et auteur de l’excellent Créativité, un art de vivre était persuadé qu’il devrait avoir un job pour financer sa passion artistique, et il ne s’est jamais dit qu’il pourrait vivre de ça, ou qu’il était fait pour ça. Il dit :
Je n’avais aucune attente que d’autres aiment ou que ça ait du succès. (…) Tout le monde qui faisait de la musique à ce moment là le faisait clairement par amour, parce qu’il n’y avait rien à gagner.
Interview de Rick Rubin sur le podcast Questlove Supreme
Suspendre le jugement et développer la curiosité
Pour créer, il faut développer une compétence ultra utile (et ô combien évasive) : suspendre son jugement. Arrêter de se demander si c’est trop ou pas assez. Retourner à une fraîcheur qui précède tout ça.
C’est ce dont parle la page extraite de Syllabus de la dessinatrice et autrice Linda Barry ci-dessous. Les petits personnages en bas de la page ont un dialogue délicieux :
Titre : Que se passe-t-il pour un dessin quand on ne l’aime pas ?
Je vais faire une démonstration : “Je n’aime pas [le dessin] chien et castor”
Ah ! Pourtant il survit à ton désamour. Incroyable !
En fait dès qu’on veut créer quelque chose de “bien”, on se trompe de cible. On est déjà en train de chercher l’approbation, au lieu de l’exploration. On cherche l’accolade au lieu de partir de notre amour pour la matière. C’est comme chercher à exister “correctement”, en étant aimé de tout le monde, jamais trop ou pas assez. C’est chiant, et ça ne fonctionne pas.
Il n’y a pas de bonne façon d’exister. Parfois on en fait vraiment trop, des tonnes, des caisses, et des fois c’est même ça qui fonctionne. Tout l’art du burlesque ou du comique de répétition repose sur ce principe.
Parfois on n’en fait pas assez et on le sait, c’est pas du minimalisme, c’est qu’on n’a pas osé. Et c’est ce qui peut nous permettre d’oser un peu plus la fois d’après.
On en parlera toute l’année ici, de nos ateliers à nos espaces de création intensifs : c’est l’esprit d’exploration, la curiosité et l’ouverture qui sont à la fois les portes d’entrée et les cadeaux d’une pratique créative.
C’est notre cible et notre moyen d’atteindre la cible en même temps. Et ça commence tout de suite, avec un petit exercice amusant pour ouvrir les portes de ton too much.
Exercice : explorer ton trop
En ce moment, je suis en Andalousie, et on peut dire que les artistes qui ont créé les églises de style gothique ne se sont pas demandé : “Dis Michel, tu crois qu’on en fait trop ?” (Dime Michel, esto no es demasiado no? dans le texte d’origine)
Leur slogan ça devait plutôt être more is more unless you can do even more then you should (c’est snob mais je trouve que ça sonne mieux en anglais, ça veut dire plus c’est plus, sauf si tu peux faire encore plus auquel cas tu dois faire plus).
L’exercice du jour c’est de s’inspirer de cette absence totale de réserve, et d’écrire un texte en en faisant des tonnes, des caisses, des milliers de kilos, bref, tu peux y aller all-in sur ce coup là.
Choisis quelque chose que tu as envie d’expérimenter dans tes textes : ça peut être les jeux de mots, les allitérations, les rimes, la répétition d’un mot ou d’un groupe de mots, une émotion…
Mets un timer sur 5 ou 10 minutes, selon le temps dont tu disposes
Pousse le volume à +300% et écris en t’appuyant lourdement sur le principe que tu as choisi d’explorer. Vas-y à fond, ne te préoccupe pas de la qualité, amuse-toi à en faire des tonnes.
Relis ton texte à voix haute, si possible sans le juger, et surligne la / les passages que tu trouves vivants
Bonne exploration, bonne rentrée !
Laure
PS : je t’avoue que j’avais prévu de faire cette newsletter sur la beauté du minimalisme et du vide. Hahah j’adore quand le texte décide tout seul d’où il va, et finalement je découvre que les deux sont vrais :
Explorer et assumer le trop
Faire de la place et laisser le vide parler
La semaine prochaine, on ira donc visiter cet autre principe : faire de la place aux lecteur·ices et laisser l’invisible travailler avec nous, plutôt que d’essayer de tirer toutes les ficelles nous-mêmes.
Hello ! Merci pour cet article !
Je viens apporter ma contribution pour la partie sur le TDAH, j’en parle dans ma newselleter, et du diagnostic en particulier dans le dernier article, si tu veux y faire un tour ;)
Je partage ton ressenti sur le « trop » et ça me bouffe encore un peu, surtout pour ce qui est de ressasser des pensés, c’est infernal, ça ne s’arrête jamais, c’est réellement fatiguant
Paradoxalement, j’aime quand les choses sont courtes et directes pour justement ne pas laisser mon attention partir ailleurs. Le TDAH contrairement à ce que beaucoup pensent, ce n'est pas une incapacité à se concentrer, c’est que notre attention va absolument partout, ce n’est pas pareil !
Quoi de pire que des textes écrit sans émotion pour dire des banalités ! C’est insupportable !
S’il y a bien un aspect que j’ai envie de développer avec mon TDAH, c’est la curiosité que j’ai en voulant m’intéresser à tout et souvent n’importe quoi. L’écriture pour ça c’est génial, comme toi, combien de fois je commence un article pour bifurquer sur un angle totalement différent, pris dans le flot de mes pensées !
Hâte de te lire sur le minimalisme, si le sujet sort un jour haha
Merci pour cet article, ça me parle tellement !!!