Il y a quelques semaines j’ai participé à une constellation familiale. Si tu ne connais pas, il s’agit d’un outil qui permet de prendre des personnes extérieures ou des objets pour “jouer” ta relation, souvent avec des membres de ta famille, et te permettre de prendre conscience de certaines dynamiques, pour pouvoir t’en libérer. Les personnes qui jouent les différents rôles ne connaissent rien de la situation et pourtant elles vont se mettre dans certaines postures physiques, avoir des réactions ou des paroles qui font miroir de la famille qui est “jouée”. C’est un peu étrange à imaginer si tu n’en as jamais vécu, mais c’est un outil que j’ai trouvé très puissant à utiliser.
Dans une des constellations, je jouais le rôle de la mère d’une autre femme. J’ai posé ma main sur son épaule, et j’ai ressenti de l’amour et de la tristesse. C’était très fort. Je ne pouvais pas parler, mais je sentais que je débordais d’amour pour elle. En même temps, je me sentais triste parce que je ne pouvais pas lui montrer mieux, elle ne pouvait pas recevoir ce qui se passait à l’intérieur de moi, tout ce soutien et cette lumière. Je sentais que mon amour ne s’exprimait pas comme j’aurais voulu, même en faisant de mon mieux.
Aime moi comme je veux ou ça compte pas
J’ai eu une révélation en jouant ce rôle : souvent dans les relations, on attend une certaine forme d’amour, on a décidé à l’avance à quoi doit ressembler l’amour : des câlins, des mots doux, de la présence, ou au contraire de l’espace, de l’indépendance, de la confiance. Et évidemment, ça peut changer d’un moment à l’autre : à un moment on veut de l’amour-distance puis 2 heures plus tard de l’amour-câlin puis dans 2 jours de l’amour-petit déj surprise au lit, etc etc. Et la plupart du temps, on ne sait même pas soi-même ce qu’on veut, parce qu’on n’a pas l’habitude de s’écouter et de reconnaître son propre besoin ou son envie. On identifie plus facilement ce qu’on ne veut pas parce que ça nous met en colère ou ça rend triste, mais c’est plus rare d’avoir appris à identifier et nommer ses besoins, sans en faire des ordres. Donc on n’a pas ce qu’on veut, et on est pas satisfait·e, puis on a des idées qui renforcent l’insatisfaction en la rejetant sur l’autre, du genre “iel comprend jamais rien”, “je me fais avoir” ou “c’est toujours sens unique” .
Si on prend ne serait-ce qu’un instant pour observer, on se rend vite compte que c’est voué à l’échec et assez tyrannique comme vision de l’amour : “je me sens aimé·e que si les autres accèdent à mes désirs du moment, que je n’ai même pas pris le temps moi-même d’écouter pour savoir ce qu’ils sont”.
On pense qu’on sait ce qu’est l’amour, et du coup on n’arrive à en recevoir qu’une toute toute toute petite partie. C’est un amour coupé de l’autre : on ne reçoit que ce qu’on avait déjà décidé, et le reste on rejette ou on se raconte des histoires dessus.
Derrière les certitudes, la possibilité de l’amour
Il y a quelques années, j’ai eu une discussion avec mon père. Je lui ai raconté comment à l’adolescence, je m’étais sentie livrée à moi-même, et que j’avais eu l’impression de manquer de soutien psychologique de sa part. Il m’a écoutée et puis il m’a expliqué que quand il était enfant, il avait vécu des moments très durs, et il avait compris que le monde pouvait être violent et qu’il fallait se blinder, développer son autonomie et ne pas se laisser abattre.
Je n’ai plus les mots exacts mais il m’a dit un truc du genre “Je voulais que tu sois forte, que tu vois que tu pouvais t’en sortir seule”. Il avait souffert et il voulait m’offrir de la solidité. À l’époque, sans pouvoir le nommer, je cherchais une présence rassurante, de la confiance en moi, une autorisation à ne pas être parfaite. Il ne pouvait pas me donner ce que je cherchais vraiment, et au fond ça ne pouvait venir que de moi. J’attendais du soutien psychologique et de la présence, quelque chose qui allège le mal-être, j’appelais ça l’amour et je restais bloquée dans ma déception et mon sentiment d’abandon. Dans cette discussion, j’ai pu m’ouvrir à son histoire à lui, et reconnaître l’amour dans ses actions et paroles, même si ça ne correspondait pas à ce que je pensais vouloir à l’époque.
En en plus, j’en ai appris plus sur mon père. Je n’étais pas obnubilée par ce qu’il ne me donnait pas, alors c’était possible de recevoir ce qui était là : un partage sincère et vulnérable de sa propre histoire.
Constellation. Je ne connais pas l’histoire de cette femme et sa mère en détail, mais je vois les résonances avec la mienne : les endroits où j’ai cru que mes proches ne m’avait pas aimée “comme j’aurais voulu”. C’est mon père à l’adolescence mais aussi ma grand-mère qui me confond avec ma soeur, un ex qui ne s’enthousiasme pas assez pour mes idées, une pote qui refuse de m’accueillir sur son canapé.
Si je reste bloquée là dessus, je rate tout ce qu’ils m’ont donné qui était leur façon de m’aimer. Même des choses qui m’ont heurtée ou blessée pouvaient être de l’amour qui ne pouvait pas sortir autrement. Et ça ne veut pas dire accepter tout et n’importe quoi. C’est possible de respecter ses limites, ses besoins, tout en recevant l’amour qui est derrière le geste ou le mot. L’amour sans les certitudes ne veut pas dire manquer d’intégrité.
Par exemple si on t’offre un cactus alors que tu voulais une peluche, et qu’au lieu de voir le cadeau, tu t’accroches à ton idée, en serrant contre toi ce cactus, et en refusant de bouger tant qu’il ne devient pas doux et moelleux, c’est à toi que tu fais mal. Même si tu t’énerves, que tu cries, que c’est pas ta faute, toi tu voulais une peluche, c’est toi qui souffres en refusant ce qui est là. Il suffirait de voir le cactus pour le mettre à la bonne distance, mais pour le voir, il faut accepter ce qui est là, pas réagir à ce que tu aurais voulu à la place.
Si tu sors de tes certitudes et idées arrêtées, tu peux même apprécier le cactus pour ce qu’il est, sans lui demander de changer quoi que ce soit. Tu peux admirer sa résistance aux conditions extrêmes, ses couleurs, sa capacité à se défendre. Et tu ne demandes pas aux cactus de ton entourage de devenir des peluches, ça n’a aucun sens.
J’ai senti, en posant ma main sur l’épaule de cette femme, cet après-midi là, une grande libération. Pendant des années j’avais pensé qu’il fallait me libérer du poids du passé, pardonner, lâcher, guérir.
En fait la seule chose à lâcher, c’était mes attentes. En libérant les autres de mes attentes, c’est moi que je libère.
Pratique :
Prends une prise de tête récente que tu as eue avec quelqu’un à qui tu tiens, ou un truc qui “ne passe pas”, même si la personne n’est plus là ou ne te parle plus. Ou s’il n’y a pas de prise de tête, un endroit où tu t’es senti·e déçu·e, un peu fâché·e. Est-ce que c’est vraiment une histoire de qui a raison et tort ? Ou est-ce que si tu regardes à nouveau ce qui s’est joué, tu peux trouver de l’amour dans l’action de l’autre, même si ce n’est pas comme ça que tu voulais qu’iel agisse ?
Prends le temps pour toi d’abord, sans chercher à réparer ou corriger quoi que ce soit. Peut-être que de cette investigation, tu vas avoir envie de renouer le contact, peut-être pas. Ce n’est pas ça le plus important. Le plus important, c’est la porte qui s’ouvre vers toi-même grâce à cette relation.
Je répète : voir que l’amour se cache partout ne veut pas dire accepter passivement ce qui te blesse ou te fait du mal. Tu peux dire stop, par amour et intégrité pour toi, tout en reconnaissant que la personne en face ne sait pas aimer autrement. Tu peux recevoir l’amour tout en mettant les limites qui te vont. Ce sera d’autant plus facile et serein si tu n’es pas en train d’attendre secrètement que l’autre change pour toi. Et en disant stop, tu fais aussi preuve d’amour pour l’autre, qui est aussi pris dans la relation toxique avec toi.