Ecrire un livre d'images et de mots - Semaine 2

La couleur

Bonjour Nuancier des Nuages,

Bienvenue dans la deuxième semaine d’écriture de notre petit livre d’images et de mots. Cette semaine, on plonge dans l’exploration des images.

On continue l’écriture par… la collecte. Avant de filtrer, de donner une structure à notre petit livre et de commencer à le faire rentrer dans les cadres, on va d’abord élargir et ouvrir en grand.

Et pour collecter, on va s’appuyer sur la couleur.

Volontairement, on ne commence pas par les mots, parce que les mots… peuvent vite nous faire monter au cerveau. Et on veut continuer à jouer dans cet espace d’émerveillement, d’émotions, de contact entre soi et l’extérieur.

On veut court-circuiter le mode habituel de cerveau, qui classe, trie, juge et sait, pour plonger dans l’expérience brute.

Beaucoup de gens pensent ou croient ou savent qu’ils ressentent - mais ça c’est penser, croire ou savoir; pas ressentir.

EE Cummings (cité sur le merveilleux blog The Marginalian)

Rester focus sur la couleur, sans présager de ce qui va sortir, ouvre la porte de la surprise, un des éléments clés de la création. Le jeu et la surprise sont des plongeoirs pour sauter dans l’expérience plutôt que de réfléchir la vie.

Une expérience avec la couleur

D’ailleurs faisons l’expérience tout de suite : choisis une couleur au hasard.

Maintenant mets un chrono sur 5 minutes et regarde autour de toi et observe tous les endroits où se trouve cette couleur dans ton environnement.

Qu’est-ce que tu observes ?

J’ai choisi le bleu, voici mes observations

D’un premier regard : Je redécouvre des tranches de livres oubliés : How far you have come (des images de poèmes et de dessins me reviennent), A swim in a pond in the rain (des sensations d’ennui, une envie de lever les yeux au ciel, pourquoi ce livre me laisse-t-il à la porte ?), le bleu pâle et flashy des post-its, mes chaises dehors appuyées fermées sur le bord du balcon, les éclats sur le vinyle sur mon mur, une pochette qui pointe son nez du sac à dos (c’est le plan de mon livre, petite montée de stress, pourquoi je ne m’y mets pas ?).

Puis : les touches de bleu dans le gris du canapé, des mouvements de vagues à la Hokusai sur la lanière de ma guitare, les yeux dérivent sur le bois brillant du corps, mes doigts le caressent en souvenir). Le bleu du ciel, effacé derrière une couche de nuages, son reflet dans les fenêtres d’en face. Le bleu de la mer dessinée au sol, sur une photo qui me ramène en Corée, un toit avec toi, il y a un an.

Laisse la couleur t’emmener là où elle veut. On s’entraîne à voir, on joue, il n’y a rien à gagner ou à performer, c’est un exercice “pour rien”, comme la méditation.

J’aime commencer par la couleur parce qu’elle est partagée, mais c’est aussi une expérience intime :

Je ne saurai jamais comment tu vois le rouge et tu ne sauras jamais comment je le vois.

Anne Carson, Autobiography of Red

Partir de la couleur et atterrir…

Ne sous-estimons pas la couleur, elle peut même devenir le thème et le fil rouge (ha!) d’un livre entier, comme les mémoires de Maggie Nelson : Bleuets, où elle parle du deuil d’une relation, de l’accident d’une de ses amies, et de sa fascination pour le bleu. Le tout écrit comme une liste, de 1 à 240 petits paragraphes :

1. Et si je commençais en disant que je suis tombée amoureuse d’une couleur. Et si je racontais comme une confession ; et si je déchiquetais ma serviette en papier pendant que nous discutons. C’est venu petit à petit. Par estime, affinité. Jusqu’au jour où c’est devenu plus sérieux. Jusqu’au jour où (les yeux rivés sur une tasse vide, le fond taché par un excrément brun et délicat enroulé sur lui-même pareil à un hippocampe), je ne sais comment, ça a pris un tour personnel.

(…)

109. Les pieds de mon amie accidentée sont devenus bleus et lisses à force de ne pas servir. Leur bleu est celui du lait écrémé, leur douceur celle d’un bébé. Je leur trouve une apparence et une texture à la fois très étranges et magnifiques. Elle n’est pas d’accord. (…)

Je n’en dis pas plus, je ne veux pas mettre trop d’idées et de concepts dans nos têtes, juste de la beauté et de la curiosité pour faire l’exercice de la semaine !