La scène se déroule chez des amis, en hiver.
Je suis là pour un weekend de résidence artistique, et dès le premier matin, j’ai un sentiment de malaise vis-à-vis d’un de mes potes. Tu sais quand il y a un loup de 200 kg qui plane au dessus des conversations ? Ambiance film à suspense, tu sais pas où est planquée la bombe mais tu sais qu’elle est là ?
Au début, je me dis que c’est probablement rien, que je suis fatiguée, pas chez moi (je préfère toujours être chez moi qu’ailleurs), qu’il fait hyper froid et j’ai déclenché une allergie qui me fait respirer avec la grâce et la légèreté d’un tracteur anémique. Je me trouve des excuses parce que j’ai pas envie d’être chiante dès la première minute. Et puis malaise ou pas, je suis contente d’être là, le projet commun me tient a coeur et j’ai envie de m’y mettre, pas de rajouter du drame #dontbeadragjustbeaqueen.
Quand c’est le moment de se mettre au travail, je prends l’initiative et je demande aux autres s’ils ont des idées et comment on s’organise. Mon pote m’imite sur un ton moqueur “Agna gna gna gna gna”, comme les enfants quand ils jouent à répéter tout ce que tu dis. A l’intérieur de moi ça fait :
Je passe de “je me sens pas hyper bien” à “je vais lui coller un bourre-pif” en une demie seconde. J’ai beau me répéter que si quelque chose me fait réagir, c’est que le sujet est chez moi (comme dirait ma pote Aurélie : “tu devrais lire tes propres articles, ya plein de trucs à ce sujet”), ça ne me fait pas redescendre.
J’ai trois choix à ce moment là :
Me barrer en claquant la porte (puis agoniser des heures dans la voiture sur comment réparer la relation et revenir)
Me taire et ravaler ma colère (et passer une journée pourrie à avoir un bout de moi bloqué sur le sujet pendant que je fais semblant de participer)
Essayer de dire ce que je ressens et voir ce qui se passe (en prenant le risque que ça soit mal pris, que ça clashe, que le weekend parte en sucette dès le début)
Aucun choix n’amène un confort instantané ou une solution.
Donc j’ai fait le choix de le dire. Maladroitement. Comme je pouvais.
Et on a échangé, ça a duré 10 minutes et pouf, fini. Éléphant dans la pièce évacué, le weekend a été productif et joyeux. Un mélange qui n’était pas garanti dans ces premiers instants.
Si je revois la scène :
Oui, j’aurais aimé avoir le temps, me poser, prendre un moment pour moi, ressentir ce qui se passe dans mon corps et le digérer. J’aurais aimé lui dire de façon hyper posée, calme et sereine, ce dont j’ai besoin, et que ça sorte d’une façon respectueuse et ouverte.
Bref.
J’aurais aimé être parfaite, rafler le prix de la bonne petite humaine qui est tellement spirituelle qu’elle vit ses émotions sans jamais les imposer aux autres, et s’exprime sans jamais faire de vagues, ou de conflit. Mais comme la perfection était pas dispo, j’ai pris la meilleure option suivante : l’honnêteté inconfortable.
Être authentique, c’est pas confortable, sinon on n’aurait pas inventé les filtres instagram
Surentraîné·es de la “diplomatie”, la plupart d’entre nous se contentent de la fermer et sourire en toutes circonstances, jusqu’à ce que ça explose ou que les relations se dégradent.
Parce qu’avoir des conversations honnêtes avec les gens, c’est super chaud : ça demande de dire ce qu’on pense, pas pour que l’autre change, mais juste pour partager ce qui est là pour soi. C’est la seule clé : dire ce qui est là, le plus honnêtement possible, sans prendre en charge les réactions de l’autre, ni essayer de résoudre le truc d’avance.
On reviendra là dessus dans le prochain article, mais déjà, avant d’ouvrir les conversations difficiles, tu peux gagner beaucoup d’espace et de sérénité avec deux constats très simples.
Quand tu ressens quelque chose, il y a deux choses qui sont garanties :
C’est réel, puisque c’est là (à ne pas confondre avec : “j’ai raison puisque je souffre”)
Si tu ne reconnais pas ce qui est là, ça reviendra (à ne pas confondre avec : “je dois faire chier la terre entière avec mes émotions”)
Voyons ça plus en détail :
C’est réel puisque c’est là
Si tu ressens quelque chose, ton ressenti est réel. Tu peux d’ailleurs prendre une seconde pour regarder les sensations physiques que ça te procure, tu peux même observer les pensées qui tournent en boucle, ça te donne une bonne indication de ce qui se joue chez toi.
Ça ne veut pas dire que tu as “raison”.
Laisse moi remettre ça là une deuxième fois, c’est une des clés de la sérénité les moins populaires et les plus efficaces qui existent : ce n’est pas parce que tu souffres que tu as raison.
Si tu souffres1, c’est qu’il y a quelque chose qui est touché chez toi. Et je sais que sur le coup ça peut vraiment avoir l’air d’être la faute de l’autre. Mais pour le moment, ouvre toi juste à une nouvelle équation possible :
je souffre = il se passe un truc chez moi ≠ j'ai raison et iels ont tort ou, si tu as plutôt tendance à te dévaloriser et te faire passer en dernier : je souffre = il se passe un truc chez moi ≠ j'ai tort et iels ont raison
Quand tu arrêtes de regarder tout ce qui se passe chez toi en bien / mal, raison / tort, les gentils / les méchants, tu ouvres la porte à l’authenticité. A pouvoir dire ce qui se passe chez toi, même quand ça déborde et que c’est pas très agréable et qu’il y a franchement pas de bonne façon de le dire.
Est-ce que ça fera de toi un·e meilleur·e humain·e ? Absolument pas. Mais tu vas pouvoir arrêter de tourner en rond dans ton slip sur les mêmes problèmes, les mêmes émotions et les mêmes pensées.
Ce qui nous amène au point 2 :
Si tu ne reconnais pas ce qui est là, ça reviendra
Une bonne façon de repérer un point de friction, c’est qu’ils ont tendance à tourner en boucle et à ne plus te lâcher une fois. Ils reviennent sous forme de pensées obsédantes : tu te balades tranquille, tu repenses à un truc arrivé plus tôt et hop, une pièce dans la machine “non mais quand même c’est pas possible, j’arrive pas à croire qu’il m’ait fait ce coup là, mais quelle ordure ce type quand même”. Une pote appelle et c’est reparti pour un tour “attends je t’ai pas raconté la dernière, non mais accroche toi tu devineras jamais” (et si ça tourne en boucle depuis un moment, en fait si, elle peut carrément deviner, parce que c’est ton sujet favori de complainte indignée).
Sauf que bitcher à propos des autres, se plaindre ou avoir des conversations difficiles et authentiques, c’est pas la même chose.
Dans le prochain chapitre (texte ? je sais pas encore comment appeler ces morceaux), on ira explorer plus en détail le : comment avoir des conversations difficiles.
Les chapitres sortent tous les vendredis, avec des surprises parfois en semaine
Par souffrance j’entends toute perturbation émotionnelle qui débarque chez toi : tristesse, colère, agacement, indignation, sentiment de s’être fait avoir, humiliation, etc.
Bonne leçon ! Pas évidente à appliquer ! Contente que la tension soit partie entre ton ami et toi !