Être authentique, c'est pas confortable (2)
Comment avoir de vraies conversations, avec des gens
Cette newsletter est assez longue, mais j’avais envie d’aller au bout et de proposer des pratiques réalistes et faisables pour aborder les sujets difficiles ou les discussions tendues. Il se trouve qu’elle arrive dans ta boîte le matin de Noël, quelle belle coïncidence. Noël est un moment fabuleux pour pratiquer l’honnêteté et apprendre à s’aimer sans fourrer tous les sujets sous le tapis.
Joyeuses fêtes !
C’est bien de savoir que l’honnêteté est forcément inconfortable, mais ça ne dit pas comment s’y prendre pour avoir des conversations difficiles et arrêter de fourrer les sujets sous le tapis avec un sourire tendu et un petit “non je t’assure, vraiment ça va, ya rien du tout”.
A quoi ça sert d’avoir des conversations difficiles ?
Au moment où j’écris ces mots, on est en pleine crise du Covid, année 2021. Au milieu d’une cacophonie de conversations qui n’ont pas lieu. Les gens se jugent, se referment, s’indignent. Mais ils ne s’écoutent pas, et ils ne s’expriment pas vraiment non plus. Avoir peur, ce n’est pas avoir raison. Et ne pas parler des choses, c’est se condamner à les voir revenir en boucle, sous une forme ou une autre.
Le monde aujourd’hui est plutôt sur ce mode : éviter toutes les conversations désagréables. Les sujets sont planqués jusqu’à ce qu’ils explosent. Comme une famille qui s’entend super bien jusqu’au jour où Mamie meurt et il faut se partager l’héritage. Et vas y que je te ressors l’histoire du coffre à jouet que t’avais cassé quand on avait 5 ans, et puis de toutes façons papa t’as toujours préféré, c’est bien normal que je touche un peu plus après tout l’amour que t’as eu de son vivant, et ta fille cette grosse conne qui a dilapidé l’argent des grands-parents avec ses idées d’investissements pourries, etc, etc.
Il y a des formes de “paix” qui sont plus violentes que des conflits.
Plus on évite les sujets qui fâchent, plus on appauvrit les conversations, on se renferme sur son point de vue et ses évidences, et on perd en empathie et en ouverture. Sans conversation inconfortables, le monde devient de plus en plus petit et monochrome. Et le pire, c’est que ça marche pas super bien, ça dépose juste des bombes à retardement.
C’est pour ça qu’on va explorer, concrètement et joyeusement, à quoi ça peut ressembler d’avoir une conversation délicate.
Mais si t’as pas envie, ne t’inquiète pas, il suffit d’attendre assez longtemps pour qu’un héritage ou une épidémie vienne faire du ménage sous ton tapis *rire machiavélique*.
Pratique : la situation à chaud
Dans le cas d’une situation à chaud, c’est-à-dire, un truc qui te fait partir en vrille, mais ya pas l’espace pour aller t’isoler, juste toi, ta rage / tristesse / indignation / ajoute l’émotion que tu veux et les personnes en face.
Comment on fait pour rester honnête sans que ça se termine en baston généralisée ?
Étape 1 : reconnaître qu’il se passe un truc chez toi
A la différence de la situation à froid, le premier jeu quand tu es en temps réel, c’est déjà de repérer qu’il se passe quelque chose chez toi.
Je veux dire le repérer avant que tu sois partie en mode :
ou encore :
C’est-à-dire, avoir suffisamment d’espace pour t’observer avant de réagir. Peut-être, si ça t’aide, insérer une pensée comme “ok, ça s’agite à l’intérieur”.
Cette étape est la plus importante de tout le processus. Si tu ne fais que ça, tu es déjà en train de te donner de l’espace pour prendre une décision différente. Même si derrière tu te réengouffres dans un conflit 1000 fois répété, peu importe.
Ce petit temps, cette seconde dans laquelle tu deviens conscient·e de ce qui se joue, et que tu vois que c’est chez toi que ça part, c’est la clé pour le reste.
Étape 2 : vérifier s’il n’y a vraiment pas moyen de t’isoler pour traverser ce qui se passe
On se dit souvent : non mais je vais pas m’isoler, c’est ridicule, je peux pas de toutes façons, on est au milieu du repas, je vais pas gâcher l’ambiance.
Est-ce que tu ne peux pas t’isoler un moment, ou est-ce que jusqu’à aujourd’hui tu n’avais jamais essayé ?
A moins que tu ne sois la personne tout en bas d’une pyramide humaine, tu peux toujours décider de prendre un moment pour toi.
L’alternative de toutes façons, c’est quoi ? Gâcher l’ambiance en rejouant une conversation sans issue ? Ou gâcher l’ambiance en prenant 10 minutes pour toi en plein milieu du repas ?
Si tu le peux, vas passer quelques instants seul·e pour te laisser traverser par les émotions qui sont là. Pas les histoires que tu te racontes, juste les émotions.
Pas “de toutes façons ma mère est rétrograde elle comprend rien à la vie je sais pas pourquoi je m’entête” mais “je me sens hyper touché·e et triste”. Laisse toi être touché·e, triste, furieux·se, tout ce que tu veux.
Le but c’est pas d’avoir raison, c’est de te libérer de ce bordel. Parce que ta mère, ton beau-père, ta soeur et toute la compagnie, même quand ils ne sont pas là, les émotions restent. Donc on s’en fout d’eux pour le moment.
S’ils agissaient exactement de la même manière, mais que ça te passait au dessus et que tu continuais ton repas tranquille, yaurait pas de sujet.
Étape 3 : ralentir et y aller avec ce qui est vrai pour toi dans l’instant
La perfection n’est pas l’objectif de ce jeu. C’est l’objectif de rien du tout d’ailleurs, c’est un objectif merdique, la perfection. Mais on y reviendra.
Ce que tu peux faire, c’est ralentir. Souvent quand on est dans une conversation difficile, chacun·e défend son bout de gras (sidenote : quelle expression répugnante) et le rythme s’accélère.
Tu as le droit et le pouvoir de ralentir. Et si t’y arrives pas c’est pas grave.
Tu peux respirer et prendre le temps de sentir ce que t’as vraiment envie de dire. Ça peut être “je vois que je me sens hyper attaquée quand tu dis ça et j’ai pas envie d’avoir cette conversation maintenant. Est-ce qu’on peut en reparler plus tard ?”, ou bien “je suis en colère quand j’entends ça et je ne comprends pas ce que tu veux ou que tu me dis.”. Parfois c’est juste “Stop” “Assez” “Non”.
On n’est pas là pour gagner le prix de la meilleure gestion des émotions. Si tu repères qu’il se joue un truc chez toi et que tu prends une respiration pour toi, t’as déjà explosé le jeu. La prochaine fois ce sera encore plus proche de ce que tu veux. Et un jour tu te souviendras même plus pourquoi ce sujet te faisais partir en Gollum.
Si t’as besoin d’une version ultra courte, les 3 R de la conversation honnête :
Repère
Ressens
Ralentis
Peu importe où tu en es, je sais, parce que tu lis ces lignes, que t’as pas atterri là par hasard et que tu es déjà en train de faire des pas vers toi, vers plus d’espace pour toi.
Mini danse de célébration :
Pratique : la situation à froid
Prends une situation actuelle, une relation où il y a quelque chose de non-dit, un truc qui te saoûle, pas forcément un dossier nucléaire mais quand même un sujet qui revient sur le tapis dès que tu vois la personne.
Pour la trouver tu peux prendre quelques minutes pour te demander : “C’est quoi la discussion que j’essaie d’éviter en ce moment ?” et tu devrais tomber sur un truc.
En cas de doute, prends quelqu’un de ta famille, idéalement tes parents ou ton partenaire. Les proches sont toujours les miroirs les plus emmerdants riches pour voir où tu en es sur ton chemin1.
Tu peux choisir une situation dans laquelle tu as l’impression d’être complètement dans ton bon droit, que les autres sont de sombres ectoplasmes ignares. Ou bien un petit truc, pas très important mais que tu rumines sec.
Étape 1 : Prends un papier (c’est important que ce soit par écrit) et écris ce qui se passe pour toi
Tu peux emprunter la formulation de Byron Katie
“Je me sens __________ parce que ________ a fait ____________”
ex : Je me sens humiliée parce que Jeanne s’est moquée de ma coupe mulet.
ou
Je me sens en colère, triste et saoûlé parce que mon père ne m’écoute jamais quand je lui parle.
Le but de cette étape, c’est déjà de sortir ce que tu as sur le coeur. De te mettre au clair avec toi-même sur ce qui est là.
Si ça se trouve le processus s’arrête là, parce que rien que de déposer ça, tu n’as plus besoin de le dire à l’autre.
Étape 2 (si besoin) : Prends le temps de ressentir vraiment ce qui se passe chez toi
Quand tu vois cette émotion ou ces émotions, prends le temps de les vivre. De te laisser traverser. Il n’y a pas de bonne méthode pour ça, d’une personne à l’autre, ça peut vouloir dire de danser, de crier, de te poser et observer les sensations dans ton corps.
Ce n’est pas grave la forme que ça prend, ou si ça marche d’ailleurs. Ce qui compte c’est d’essayer sincèrement. De ressentir ce qui est là sans chercher à s’échapper ou à le mettre dans la tronche de quelqu’un d’autre.
Rien que d’avoir cette intention de vivre l’émotion plutôt que de la rejeter (minimiser, nier, raconter, dramatiser sont d’autres options pour ne pas la vivre), c’est déjà 80% du boulot de fait.
Étape 3 (si besoin) : Regarde ce dont tu as besoin et exprime le
Cette étape est tout à fait optionnelle. Si tu ressens le besoin, tu peux aller vers la personne concernée, et partager ce qui s’est passé pour toi, puis exprimer un besoin ou un souhait.
La clé ici, c’est de sentir que tu y vas avec de l’ouverture, et pas une requête. Tu exprimes ce qui s’est passé pour toi, et ce qui est important, mais pas pour avoir raison ou écraser l’autre, juste pour ouvrir un espace de discussion.
Encore une fois, si ce n’est pas parfait, c’est pas un problème, c’est pour toi que tu fais cette démarche de toutes façons. Tu vas sentir petit à petit quand tu y vas avec de l’enjeu et quand tu y vas avec de l’ouverture. Et tu vois ce qui se passe.
En cas de besoin, un retour à l’étape 1 n’est jamais un mauvais signe.
Exemple concret : mon beau-fils traîne dans le salon alors que je veux du calme
Un poil de contexte : je ne veux pas d’enfants, mais comme la vie a beaucoup d’humour, je suis en couple avec un homme qui en a 3 (hahahaha qu’est-ce qu’on rit). Bref, moi qui ai l’habitude de m’étaler et d’avoir tout l’espace pour moi, je me retrouve à partager avec de petits êtres têtus et également doués de volonté.
En particulier, avec mon beau-fils, ça chauffe : il adore traîner dans le salon, moi aussi, mais du coup je n’ai plus l’endroit pour moi. On s’engueule plusieurs fois, jusqu’à un jour où vraiment il crie et reste dans une colère très forte pendant une heure… et de mon côté je me sens de plus en plus mal, et nulle, et je me dis que ça peut pas continuer comme ça. J’avais l’impression d’être dans un combat dès qu’il arrivait, de me préparer pour une invasion et de guetter le moindre dérapage pour justifier mon mal-être.
Bon, c’est un enfant. Il existe la solution de lui imposer les choses, et de lui apprendre comme ça dès sa jeunesse que ses ressentis à lui ne valent rien, et qu’il a qu’à la fermer et faire ce qu’on lui dit. Pas ouf.
J’ai donc pris le temps d’aller voir ce qui se passait à l’intérieur, de me laisser toucher par à quel point c’est chaud de partager d’un coup son quotidien et son espace avec 3 petits êtres. J’ai pleuré, j’ai grogné, j’ai pris des bains. J’en ai parlé avec une coach pour m’aider à voir ce que je ne voyais pas. J’ai vu que je me sentais envahie et menacée, mais que la maison est composée d’espaces communs dans lesquels tout le monde a le droit d’être, et d’espaces privés dans lesquels on peut tous aller pour être tranquilles.
J’ai fini par aller le voir, pour m’excuser, et lui dire que j’avais eu tort de vouloir revendiquer le salon. J’ai aussi dit que c’était pas simple pour moi et que je ferais pas toujours les bons choix, mais que j’avais envie de rester dispo pour en parler dans tous les cas.
Depuis la relation s’est apaisée, puis carrément enrichie. C’est avec lui que j’ai le plus de discussions “compliquées” et c’est avec lui aussi que je sens que la relation est la plus riche.
Attention : ces pratiques ne sont pas des méthodes miracles, mais, comme leur nom l’indique, des pratiques. Elles sont là pour t’accompagner à sortir des automatismes pour faire de la place à autre chose.
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Dans la playlist en ce moment
Le maître spirituel Ram Dass a d’ailleurs dit : “Si tu te crois tellement éveillé et avancé spirituellement, va passer une semaine avec tes parents. Muahahahah”. Bon ok, il a pas dit muahahahaha mais avoue que ç’aurait été le bon moment