Bonjour !
Quelques nouvelles et découvertes pour commencer :
Notre prochain atelier d’été arrive en août : du 10 au 20 août, par mail directement : 5 minutes par jour pour nourrir ta relation à ton écriture.
Si tu connais quelqu’un que ça pourrait intéresser, invite-les à nous rejoindre.
A venir sur le podcast : en août, découvre l’interview d’Angela Léry, co-fondatrice de la cabane bleue, une maison d’édition pour enfants qui chouchoute la planète et nos imaginaires.
A écouter ailleurs : Niquer la fatalité, merveille d’écriture, de jeu et de beauté sauvage. C’est sur le podcast Théâtre et Cie de France Culture, faut avoir un peu de temps devant soi (ou le caler sur un petit footing / balade) mais c’est génial.
Ce week-end j’étais à un festival (le premier de ma vie, j’ai réalisé en y participant !) auto-géré d’une centaine de personnes. Il y a eu une envolée emplumée multicolore, des boum boum boum battants sur basses vibrantes, d’immenses casseroles de lentilles cuisant lentement pour le dahl du dîner, des poèmes partagés pour plonger dans le sommeil d’après, des discussions chuchotées de fin de soirée, des chauve-souris qui jouent les étoiles filantes.
Un week-end de vie, gratuit. Offert par la maison.
On peut dire qu’on est privilégiés, de pouvoir vivre ça plutôt que des situations de vie très dures, que ce soit individuellement, collectivement ou systémiquement. Et c’est vrai. Quel privilège de pouvoir passer un weekend à faire la fête, au milieu de la nature, avec des gens magnifiques.
Le propre du privilège c’est d’ailleurs d’oublier qu’on en a (ou de le nier), et de trouver que ce qui nous arrive est “normal”, et par extension ce qui arrive aux autres, c’est normal aussi. C’est ce qui fait dire des phrases comme “Ils ont qu’à se bouger, moi j’y suis bien arrivé” ou “On va pas accueillir toute la misère du monde non plus !”.
Je vois 3 choses que m’inspire ce moment de fête et de rencontres.
1 : Faire des choses gratuites, futiles, joyeuses
Quand j’étais ado, j’ai été saisie par une terreur existentielle : à quoi ça sert, tout ça ? Qu’est-ce qu’on fait là et qu’est-ce que je fais là en particulier ?
C’était terrifiant parce que je voulais absolument m’échapper de cette question. Dès qu’elle apparaissait, j’essayais de faire autre chose, de me distraire, de fuir le trou noir qui se creusait à l’acide dans mon ventre à l’approche de cette idée que je puisse ne servir à rien, que tout ça puisse ne servir à rien.
Petit à petit, après des années d’abord à chasser la vie comme il faut, j’ai eu de la place pour ralentir et progressivement me demander ce que je voulais vraiment. J’ai confondu à nouveau “vie remplie” avec “carrière remplie”, mais en faisant quelques pas de plus vers le fait de profiter de ce qui est là plutôt que plonger dans le déni de ma trouille existentielle.
Ça a pris pas mal de temps, et je crois que le covid a joué un joli rôle là dedans, pour que je ralentisse suffisamment pour aller rencontrer cette peur sous un nouvel angle. Je ne crois pas aujourd’hui que la vie ou ma vie aient un sens, en tous cas pas comme je le cherchais à 16 ans. Je crois que c’est beaucoup plus incroyable : tout ça est gratuit. L’expérience de la vie est un cadeau, mais pareil, il faut changer d’angle de vue pour le voir.
Tant que je cherchais le sens ou la beauté dans le temps, tant que je cherchais une histoire à me raconter, sur ma vie mon oeuvre ou sur le grand sens de la vie en général, j’étais condamnée à errer dans le sillage de l’angoisse. Par contre si je trouve le sens et la beauté dans l’instant, sans histoire, sans suite, juste parce que c’est là, alors c’est toujours accessible. Ce n’est pas que tous les moments soient agréables, mais le simple fait d’être là, de faire l’expérience de ce moment, de voir ce que je vois ou entendre ce que j’entends, devient un mystère joyeux qui n’a pas besoin d’être résolu.
La vie a du sens parce qu’elle n’en a pas. L’autre face de l’angoisse existentielle, c’est la beauté gratuite de tout.
Le poète Joseph Brodsky nous parle magnifiquement de ce dilemme, en le nommant simplement (c’est le pouvoir des poètes·ses : approcher l’irrésolvable en l’observant de près, sans chercher de solution) :
Tu es insignifiant·e parce que tu es limité. Mais plus une chose est limitée, plus elle est chargée de vie, d’émotions, de joie, de peurs, de compassion. Car l’infini n’est pas terriblement vivant, ni terriblement émotionnel.
Joseph Brodsky, cité par Maria Popova dans The Marginalian
2 : L’importance de la communauté et du collectif
Honnêtement je suis allée à ce festival avec pas mal d’appréhension : je n’adore pas la musique électro, je n’aime pas la foule et comme je n’avais jamais fait d’évènement comme ça, j’avais l’appréhension des premières fois.
J’avais aussi beaucoup de curiosité et de confiance, parce que les gens qui l’organisent et ceux que je connaissais sur place sont des gens que j’aime beaucoup.
On a grandi dans des structures de plus en plus petites et individuelles, des familles nucléaires, des apparts pour 1 (voire 1/2 quand on voit la taille de certains logements), des mythes de héros et héroïnes seul·es contre tous.
Et puis il y a eu la dissolution du Parlement en juin 2024, et de grands élans de collectifs ont repris de la place dans les médias et l’imaginaire.
Le monde bouge parce que des individus qui prennent soin d’elleux agissent au sein de communautés et de collectifs qui prennent soin d’elleux aussi. Comme dit cette prof de yoga sur Youtube : “Si tu tombes, on te rattrapera”.
Ce n’est pas l’un ou l’autre. Ce n’est pas chacun·e qui se démerde avec ses traumas et ses bordels avant d’avoir le droit de participer. Ce n’est pas non plus le collectif qui peut toujours prendre en charge les blessures et les douleurs de personnes qui ne font pas leur partie du travail. C’est un échange délicat et jamais acquis, bordélique et vivant, où l’on apprend que le soin n’est ni une affaire complètement individualiste, ni un poids qu’on doit porter à la place des autres.
Et se rappeler qu’au fond du fond du fond, la seule chose que tout le monde veut, c’est se sentir aimé·e et accepté·e tel·le que l’on est. Tout ce qu’on fait est soit une tentative tordue pour obtenir l’amour, soit une expression de cet amour qui émerge naturellement de soi.
Je me tourne vers bell hooks pour conclure là dessus, et son livre Sororité : Guérir des blessures psychiques infligées par la domination.
Elle dit :
Je veux surtout lui rappeler les recettes de la guérison, et lui donner mon propre remède fait-maison pour soulager la peine. Je lui dis “Prends un stylo. Arrête de pleurer pour pouvoir écrire ça et commencer à travailler dessus ce soir.” Mon remède est long. Mais le dernier élément de la liste dit : “Quand tu te réveilles et que tu te retrouves à vivre quelque part où il n’y a personne que tu aimes ou en qui tu aies confiance, pas de communauté, c’est le moment de quitter la ville - de faire tes valises et partir (tu peux même partir dès ce soir). Et là où tu dois aller c’est dans n’importe quel endroit où il y a des bras pour te serrer, qui ne te laisseront pas tomber.
3 : Se rencontrer depuis les fêlures de nos coquilles
Dans la droite lignée de comment on crée des imaginaires et des collectifs qui nous nourrissent et soignent le monde plutôt que générer plus de trauma, il y a ce qu’on peut faire soi-même. Et c’est un autre paradoxe qui n'arrête pas de me fasciner : les parties de nous que l’on cherche le plus à cacher ou à ne pas montrer sont celles qui nous permettent de nous rencontrer vraiment.
Il y a bientôt deux ans, en arrivant à Marseille, j’avais organisé un stage de 3 jours qui s’appelait “La Brèche” et on était arrivées à cette conclusion ensemble : c’est par les morceaux ébréchés que l’on se laisse toucher.
Ça ne veut pas dire qu’il faut en chier pour être authentique, ou souffrir pour être heureux·se. On n’a pas besoin de trimballer un trauma pour avoir des failles, et si on a un trauma il n’est pas la définition de ce qu’on est, même quand il prend de la place au quotidien.
Je constate qu’il y a des gens dont la coquille est fêlée, par des évènements de la vie, ou par sagesse. Et du point de vue de nos peurs et de notre égo, ces fêlures sont le plus gros danger qui soit.
Mais si on prend le temps de s’asseoir et de regarder de plus près, c’est le coeur qui bat derrière la coquille. Et c’est cet affinage de coquille, par à-coups et par expérience, qui nous amène au plus près du coeur, au plus vivant. C’est flippant, on a plutôt l’impression qu’il faut être cool, modéré et garder la tête froide pour être un adulte fonctionnel. Mais retournons vers ce sage Joseph Brodsky, avec qui on a traîné plus tôt et qui nous dit :
Essaie de rester passionné·e, laisse le cool aux constellations.
En tous cas si je devais donner le sens de la vie à la Laure de 16 ans qui fuyait ces questions, je lui dirais :
Aime jusqu’à percer tes propres défenses, et puis laisse ton coeur faire le reste, il sait.
Bonne semaine,
Laure
J'adore la notion de gratuité (et de fêlure). Probablement le grand retour du réel contre la violence en ligne, notamment
Il est dense ce texte!! Il beau et il est joyeux! Merci pour ce beau cadeau!!