Mardi, je me suis réveillée d’une humeur qu’on pourrait poliment qualifier de “immonde”.
Je suis allée bosser et tout le début de matinée, j’ai enchaîné les gaffes et les maladresses. Le stress s’est donc ajouté à la mauvaise humeur. Clairement, j’avais envie d’arracher des têtes et aussi de m’asseoir dans un coin pour faire mon Calimero.
Je commençais déjà à m’imaginer passer toute la journée dans cet état, et ça n’aidait vraiment pas.
Et j’avais beau avoir conscience d’être de mauvais poil, essayer de vivre ma mauvaise humeur, de l’accepter, de l’écouter, de l’ignorer, de regarder les choses du bon côté… rien n’y faisait. Plus j’y touchais, plus la situation semblait empirer.
Quand ça t’arrive, attrape un seau de pop corn et des mouchoirs : tu es en train d’assister à une magnifique tentative de contrôle : transformer la sagesse ou les expériences passées en modes d’emploi figés et en recettes prêtes-à-porter. Ou : quand quelque chose arrive qu’on ne veut pas vivre, on se précipite sur la dernière lecture, le dernier conseil ou contact qui a fait des miracles pour machine et bidule, la dernière méthode qui semble fonctionner pour essayer de “résoudre” la situation.
Sauf que la vie n’est pas un problème à résoudre, ni un ensemble de fiches-recettes à collectionner pour les sortir à chaque occasion et avoir toujours la réponse appropriée.
Imagine l’ennui colossal que ce serait… Le mystère de la vie, réduit à une collection de vieilles fichettes plastifiées comme celles qu’on trouvaient dans les magazines de cuisine des années 90.
Bon mais le mystère de la vie, en général, on l’aime quand il est plutôt doux, quand il prend la forme d’une surprise merveilleuse, d’un désir satisfait, d’un coucher de soleil sublime… Beaucoup moins quand il prend la forme d’une mauvaise nouvelle, d’une vague de tristesse ou d’une maladie.
Là, d’un coup, on prendrait bien l’option fiche plastifiée…
Les fiches recettes de la vie parfaite*
Les fiches plastifiées, selon ton éducation, ta famille, ton environnement, etc, ça peut aussi bien être une recette intitulée “Le bon étouffé d’émotions traditionnel” que celle du “Vol-au-vent spirituel sauce à l’acceptation”. Yen a pas vraiment une mieux que l’autre, dans les deux cas ce sont des tentatives pour se protéger de ce qui est là et le remettre dans une case rassurante et en apparence “maîtrisable”.
Inutile de te préciser que bien sûr, j’ai essayé tout ça mardi. Heureusement ce jour là, aucune recette ne fonctionnait. J’étais coincée là avec mon ressenti de stress, tristesse et panique mélangés. Et je dis bien heureusement, car ça m’a permis de jeter les recettes et de retrouver de l’ouverture.
Comme rien ne fonctionnait, j’ai finalement lâché mes intentions, mes envies de contrôler, limiter ou faire passer cet état, et je l’ai invité dans ma journée. Vu que c’était déjà là, autant ouvrir la porte en grand plutôt que prendre de l’énergie pour essayer de pousser le truc dehors.
Au lieu de bosser de mauvaise humeur, j’ai bossé avec ma mauvaise humeur.
Je lui ai littéralement dit “allez viens, vu que t’es là, on va bosser ensemble”. Et instantanément, ça s’est détendu dedans. C’est même devenu comique. Je sentais l’énergie de la mauvaise humeur qui bougeait, mais elle devenait drôle, légère, plus du tout un sujet. Ce que je cherchais à atteindre est arrivé… quand j’ai laissé tomber l’idée de l’atteindre.
A midi, j’étais en pleine forme, et le soir, je suis allée boire un verre avec la copine que j’avais appelé à la rescousse (fiche recette 48 : “Le roulé à l’amitié compatissante”), mais je n’étais plus en train de fuir, j’ai pu profiter du temps ensemble, et lui parler de ce qui me questionne en ce moment, sans chercher de solution, juste pour poser les choses et gagner en clarté (et manger de délicieux petits crustacés).
La leçon de tout ça ?
Bien sûr tu peux en faire une nouvelle fiche recette, et t’accrocher à cette histoire la prochaine fois que tu es dans ta version de la “mauvaise humeur”. Ou alors tu peux utiliser ça pour observer plus finement la prochaine fois que tu te raccroches aux branches et que tu essaies de toutes tes forces de contrôler ce qui est en train de se vivre à l’intérieur de toi. Juste redonner un peu d’espace à ce qui s’agite, peut-être même, lâcher toutes les fiches et ouvrir la porte en grand à ce qui est déjà là, sans avoir besoin d’en faire une nouvelle pratique ou une nouvelle méthode magique.
La vie est déjà en train de se vivre à chaque instant. La fluidité et la simplicité sont déjà là, tout le temps, mais voilés par nos tentatives de classer et trier le mystère en “bonnes” et “mauvaises” expériences.
Ça ne veut pas dire que tu n’appelles pas un·e ami·e, soit pour t’aider à retrouver de la perspective, soit pour mettre en marche une fiche (c’est la première chose que j’ai faite quand j’ai senti monter l’émotion et la blessure qui allait avec ce jour là). Ça ne veut pas dire que tu te flagelles quand tu “n’y arrives pas”, mais que tu regardes que, même dans cette dureté, tu es déjà en train d’y arriver. Et si ya pas la place pour ça, tu peux toujours, à défaut de tout le reste, respirer et prendre soin de toi de la façon qui te parle à ce moment là. Il n’y a pas de faux pas, et pas de recette à rater, même quand on a l’impression du contraire.
* Les fiches recettes de la vie sont disponibles aux éditions “Je sais tout” pour la modique somme de renoncer à toute ta joie. Paiement récurrent en plusieurs fois étalable sur toute la vie.