Avant de commencer, je débarque après des semaines sans écrire, il y a deux raisons à ça :
Je suis en plein déménagement et j’ai mis la priorité sur mon temps et prendre soin de moi
Je fais évoluer mon activité d’accompagnement et je m’interroge sur la pertinence de garder deux newsletters, je n’ai pas encore tranché, pour le moment je ne sais pas
Il y a des personnes dans nos vies dont on a l’impression qu’iels “se gâchent”, qu’iels ne sont pas vraiment épanoui·es. Et parfois ce sont eux-mêmes qui nous le disent, c’est même pas une impression : iels sont tout le temps malheureux, anxieux. En un mot : iels sont en galère.
Et ça peut faire mal au coeur de voir ça, quand ce sont des proches et qu’on se dit qu’on veut ce qu’il y a de mieux pour eux. Qu’on veut les voir en pleine forme et dans leur potentiel.
Sauf que cette posture est méga douteuse.
Quand on commence à croire qu’on sait mieux que l’autre ce qu’iel a besoin de vivre, on est à l’orée d’un bois qui sent l’entourloupe et les voies sans issues.
C’est un gros piège qu’on peut se tendre à soi-même et aux autres : rentrer dans l’histoire de la victime (voire la créer de toutes pièces).
Je précise tout de suite que je ne cherche pas à dire que les gens ne vivent pas des trucs hyper durs et qu’il faut les jeter en disant “ah mais c’est juste une histoire que tu te racontes, je vais pas rentrer là dedans non non non, moi je suis au-dessus de tout ça”.
C’est plus fin que ça. Il ne s’agit ni de nier ou de minimiser la souffrance que vit quelqu’un, ni d’avoir un avis sur ce qui lui arrive. Être là dans ton intégrité, et respecter celle de l’autre. Y compris son droit à rester bloqué, à en chier aussi longtemps que nécessaire, et même à mourir si c’est la seule chose qui lui semble possible face à sa souffrance. Ça peut paraître dur de dire ça, parce qu’on a tellement l’habitude de vouloir pour les autres. Mais c’est beau d’écouter sincèrement quelqu’un là où iel en est et de ne pas juger ou essayer de corriger ça.
Les gens ne vont pas aller mieux juste parce que tu leur dis “Allez souris, regarde tout ce qui va bien”. C’est même un énorme manque d’empathie, souvent pour calmer sa propre impuissance face à la détresse de l’autre.
Prison pour deux
L’amour qui veut le bonheur de l’autre est une prison pour deux. Ce n’est pas de l’amour c’est une espèce de balançoire maniaque où tout le monde est coincé.
Si tu aimes inconditionnellement quelqu’un, tu n’as pas besoin que cette personne aille bien. Qu’elle fasse les bons choix. Qu’elle soit à la hauteur de son potentiel. Tu n’as même pas besoin d’être près, ni loin. Tu n’as pas besoin de mentir pour faire plaisir ou de ronger ton frein pour l’autre.
L’amour n’a besoin de rien. Ni chez toi, ni chez l’autre.
Il ne s’arrête pas aux actions, aux pensées ou aux apparents manquements.
Il ne vient pas non plus “compenser” en en faisant des caisses et en plaignant très fort l’autre. Ou empêcher les gens de vivre des choses désagréables ou inconfortables.
L’amour peut être beaucoup plus simple, tellement simple que c’est impossible à comprendre.
L’amour peut écouter l’autre, et l’amour peut aussi dire “stop, je n’ai plus envie d’écouter”. Pas par méchanceté ou abandon, mais pour respecter ce qui est là pour toi.
L’amour peut demander “De quoi as-tu besoin ?” et se sentir libre de dire oui, ou non.
L’amour n’attend rien de l’autre. Ni son bonheur, ni sa reconnaissance, ni sa dépendance.
L’amour est tellement simple qu’on a oublié à quoi il ressemble. Il a l’air trop inactif pour nous intéresser, il paraît passif en ces temps de volontarisme et d’endurance.
Pourtant l’amour est complètement volontaire : il veut ce qui est là. Il est extraordinairement endurant : il n’arrête pas de démontrer que tout ce qui est là est juste, même quand tu essaies de lutter à longueur de temps.
Les relations sans filtre
J’ai longtemps voulu que mes proches aillent bien, notamment ma famille proche : ma mère, ma soeur, mon père. Quand je dis que je voulais qu’ils “aillent bien”, c’était ma version bien entendu. La liste plus ou moins consciente de ce que je voulais qu’ils fassent et qu’ils soient. Mais attention hein, tout ça pour leur bien !
Et ça faussait toutes nos relations : j’écoutais avec mes filtres, je guettais inconsciemment les moments où je pourrais glisser un conseil, enfoncer le couteau s’ils le tendaient. M’embarquer dans de la négociation ou m’énerver et leur raccrocher au bec parce que décidément, ils ne veulent rien entendre.
Je n’étais pas en relation avec eux, j’étais en relation avec ce que je pensais qu’il fallait corriger chez eux. Et bien sûr je n’étais pas en relation avec moi. Je disais oui quand c’était non, ou je m’agaçais quand je n’étais pas d’accord, je me culpabilisais de ne pas avoir dit ou fait “la bonne chose”.
Il y avait beaucoup d’opinions, pas beaucoup d’écoute.
Sans surprise à cette époque là, je peinais à m’aimer moi-même. Moi aussi j’avais une liste inconsciente de choses à être et avoir pour me lâcher enfin la grappe. Une liste qui se remettait à jour assez régulièrement pour ne jamais être finie.
Je ne le voyais pas, mais ce mouvement d’insatisfaction que je plaquais sur leurs vies, déguisé en préoccupation de bonne fille / soeur, il était chez moi. J’avais une version imaginaire de chaque membre de ma famille en mode parfait, et une version imaginaire de moi si j’étais assez parfaite pour être heureuse. Et la réalité tombait toujours à côté.
Aujourd’hui je ne suis pas parfaite (ouf), mais j’ai arrêté de vouloir autre chose pour eux. Et quand ça m’arrive, je le vois et je prends le temps de me demander si j’ai vraiment besoin d’avoir un avis là dessus (la réponse est : non), et je suis plus disponible pour écouter, et apprendre d’eux.
C’est là le plus beau paradoxe : maintenant que je ne veux plus qu’iels soient heureux, notre relation est plus simple, plus fraîche, plus libre. Et je les apprécie vraiment. Ça m’enrichit de les connaître et de partager des moments ensemble.
Descendue de ma chaise du “je sais ce qui serait mieux pour toi”, je me trouve dans le terrain de jeux, à kiffer, et parfois galérer, et me marrer. Ensemble. Et à dire non quand j’ai pas envie. Et à dire oui de plus en plus souvent parce que quand on essaie plus de rendre les autres heureux, on est, miraculeusement, beaucoup plus heureux, ensemble et séparément.
Certes, l’homme est un être désirant par essence, mais il exprime à cet endroit sa condition d’interdépendance a l’autre! Alors, désirer pour l’autre, c’est aussi aménager sa propre existence c’est façonner inconsciemment un environnement propres à déconstruire ses angoisses et à transformer un réel en idéal . Ma capacité à désirer à la place de l’autre est proportionnelle à mon incapacité à penser l’autre ! Ainsi si nous voulons un monde solidaire et respectueux des différences, faisons en sorte que les gens soient heureux et épanouis ! 😜