Bonjour !
Je continue d’expérimenter avec le format et le contenu de ces articles, de ce lieu sur Substack. Aujourd’hui avec l’article, je t’ai mis des recommandations de lectures et d’écoute. Et un exercice d’écriture flash à la fin.
Annonces et découvertes :
Si tu ne l’as pas écouté, l’épisode de podcast avec Laura Nsafou, où elle parle de sa relation avec l’écriture, comment elle est devenue autrice publiée, le féminisme, la représentation des personnes racisées dans la littérature...
Je galère à me connecter à ce qu’écrit Laura Vazquez, qui a eu le prix Goncourt poésie 2023, mais je me suis passionnée pour cette longue interview qu’elle a faite sur Bookmakers, et c’est dans un de ses cours que j’ai tilté sur le fait de créer et nourrir ma relation à l’écriture. Sa newsletter / atelier d’écriture est une chouette ressource aussi.
Cet été : atelier d’écriture du 10 au 20 août : 10 x 5 minutes par jour pour nourrir ta relation à ton écriture
Comme toujours, ton soutien est ce qui me permet d’accorder du temps et de faire fleurir cet espace, si tu as envie de passer en mode payant, pour un mois ou pour un an, tu peux mettre à jour ta formule en cliquant ci-dessous, et tu auras accès aux replays des ateliers flash, aux ateliers en live et à une proposition très très chouette qui va commencer à la rentrée.
Aujourd’hui je voulais te parler du vide. J’ai déjà partagé sur ce sujet, en allant à la rencontre du vide dans notre atelier Petit livre d’images et de mots (Inviter le vide), et en parlant de ce qui reste dans l’ombre pour nourrir ton écriture et ta créativité.
L’idée m’est venue la semaine dernière, suite à un échange avec mon ami Mathis sur le rôle du vide dans la musique. Il me faisait remarquer que si on ne respecte pas le point d’orgue dans un morceau (le point d’orgue c’est un moment où le tempo se suspend et où la note ou le silence peuvent se prolonger aussi longtemps qu’on veut), si on enchaîne trop vite, ou qu’on ne le marque pas du tout, alors le morceau perd sa puissance, on se déconnecte de notre émotion ou on entre en réaction.
En musique il est noté comme ça :
Dans le langage courant, on parle du point d’orgue pour signifier un moment important. Comme si on suspendait le temps pour marquer le coup. Si on enchaîne et qu’on ne se laisse pas toucher, il se passe la même chose qu’avec la musique : on se déconnecte de notre ressenti et on se met en mode réactif.
Si tu regardes autour de toi, tu vas te rendre compte que sans le vide rien ne peut exister. Sans vide, il n’est pas possible de regarder un arbre, de prendre la main de quelqu’un ou même d’aller quelque part. Le vide est indispensable à toute notre vie. Pourtant si je te demandais de lister tous les éléments de la pièce dans laquelle tu te trouves, tu ne m’aurais pas dit “le vide”. C’est la magie du vide : il est cette absence qui permet à tout le reste d’être.
En littérature on va ressentir ça à la fin d’un livre qu’on apprécie. Ce silence plein d’imaginaire après la dernière page.
Les poètes·ses sont souvent virtuoses dans cet art de la suspension. Ils ont cette qualité d’être qui nous amène au vide. On peut rarement lire un recueil de poésie d’une traite. Chaque poème est un monde en tant que tel qui demande qu’on s’y arrête, qu’on prenne son temps. Le poème vient agrandir notre espace intérieur. Il interrompt le flux de la pensée, de la journée, non pas pour nous évader ou fuir notre quotidien, mais pour nous ramener encore plus près de la vie, parfois nous forcer à regarder là où on ne voit plus.
C’est ce qui se passe par exemple dans cet extrait de Nostalgia y fronteras de l’autrice Sonia Guinansaca (il est disponible uniquement en édition trilingue Quechua, Espagnol, Anglais donc je tente une traduction ci-dessous) :
And then A long pause You hear her shuffling the phone Trying to remember which side to talk from She is not familiar with this technology I call it old school Some call it poverty Et ensuite Une longue pause Tu l'entends remuer le téléphone Essayant de se souvenir de quel côté on parle Elle n'a pas l'habitude de cette technologie J'appelle ça être old school Certains l'appellent pauvreté
Le poème nous arrête sur un moment complètement anodin la grand-mère restée au pays qui chipote avec son téléphone. Elle nous fait nous attarder sur cette longue pause, ce silence pendant que sa grand-mère cherche, et puis elle nous oblige à regarder d’encore plus près ce que ce silence dit : elle n’a pas l’habitude de cette technologie.
Parce qu’elle est vieille ? C’est la première raison, elle nous rassure. Ah oui, les vieux ont du mal avec la technologie.
Et puis elle nous sort à nouveau de notre confort, nous envoie là où on n’avait pas forcément été regarder. Ça pourrait aussi être la pauvreté.
Place au silence
Je suis dans le train, un couple est assis dans le carré en diagonal. Je ne vois que le haut de leur crâne et la jambe du garçon côté couloir. Le haut de leurs têtes penchées l’une vers l’autre, ils se touchent à peine. La cuisse du garçon est légèrement tournée vers eux. Ils ne parlent pas.
Et je me fais la réflexion que dans nos vies, beaucoup de choses sont organisées pour annihiler le vide. Pour se distraire, il faut s’extraire de la vie et donc minimiser les temps morts, le vide, à tout prix.
Les vidéos sur les réseaux sociaux sont faites pour être diffusées en boucle, sans temps d’arrêt. Elles défilent sans notre consentement. Désormais les films et séries font de même sur les plateformes. Les entreprises qui créent ces plateformes et leurs contenus font partie de l’économie de l’attention, c’est-à-dire qu’elles doivent manger le plus possible de notre attention pour gagner de l’argent.
Et on le sait, que ce sont des machines à nous manger le temps, mais on se retrouve quand même à scroller et à regarder ce que l’algo nous a déniché parce qu’on veut s’extraire, éviter le vide. Le vide nous met mal à l’aise parce qu’on ne sait pas de quoi il est fait. Il est l’espace de l’inconnu, du mystère.
Or quand on crée, on devient les amoureux·ses du mystère. Donc ce silence, ce vide nous intéressent.
Quand j’ai décidé de fermer ma boîte et de mettre fin à 8 ans d’entrepreneuriat pour “rien”, je ne savais pas vers quoi j’allais. Je ne le sais toujours pas deux ans et quelques plus tard. Je savais juste que j’avais besoin d’un vide pour faire pousser autre chose.
Au bout d’un an, l’écriture est apparue dans ce vide. Et puis l’envie de me former et de transmettre à travers des ateliers, une newsletter.
Cette envie, je pourrais dire qu’elle avait toujours été là. D’ailleurs personne n’a été surpris parmi mes proches. Mais moi j’ai été surprise. Il fallait ce vide pour faire de la place à cette envie, pleinement. La faire passer du statut la vague idée : “ce serait quand même sympa d’écrire” à la réalité : “c’est par là que j’ai envie d’aller”.
Et c’est terriblement flippant, ce genre de vide (on n’est pas tou·te·s égales avec ça, mais les petites poules anxieuses dans mon genre n’aiment pas l’incertitude). Combien de fois dans l’année je me suis dit “Je fais n’importe quoi, c’est n’importe quoi, j’ai juste jeté ma vie pour une intuition et en fait ça ne donne rien, je suis foutue” (Oui I’m a little bit of a drama queen).
Parce que le vide ne vient pas avec des promesses de mieux, de plus, de révélations mystiques ou même de réussite. Il ne vient qu’avec lui-même : plein de vide. Il y a 0 garantie de quoi que ce soit en échange.
Ça c’est chiant. On a appris à aimer et compter en retours sur investissement. Même dans le dév perso qui est censé parler d’humain, difficile d’échapper à la promesse de s’améliorer, de devenir une version augmentée de soi-même. Avec le vide il n’y a pas de tractation, on plonge pour plonger, sans savoir s’il y a un trésor au bout ou pas.
C’est un acte de foi.
Qu’on peut répéter à longueur de journée, en laissant plus de place au vide dans nos journées, dans nos relations, dans nos conversations.
Ce vide a un lien direct avec la création et la créativité. S’entraîner à rester avec l’inconfort du vide, c’est une des compétences clés pour créer quoi que ce soit.
On va en faire l’expérience ensemble, avec un tout petit exercice d’écriture.
Tout petit exercice
Prends le temps de te poser, d’atterrir dans ce moment. Ça peut être aussi simple que quelques respirations conscientes, ajuster ta position dans ton siège, ou regarder ce qui t’entoure et les sensations qui te parcourent dans cet instant.
Puis prends une de ces questions ci-dessous et donne toi le temps de savourer. Ne te jette pas sur une réponse, ne cherche pas à te rassurer, donne toi du vide, pour voir où ça t’emmène. Peut-être nulle part, peut-être à un endroit inconnu, on verra bien.
Il est impossible de fournir une “mauvaise réponse” ou de rater cet exercice. C’est un jeu pour entraîner ton attention, ton imagination.
Si tu y arrives, je te conseille de partir d’une observation ou d’une situation vécue plutôt que de te perdre dans des concepts et des abstractions.
Voici les questions :
De quel couleur est le silence entre deux corps qui se désirent ?
Et entre deux corps qui se trahissent ?
Et deux corps qui se repoussent ?
Si tu as envie, tu peux partager quelques phrases de ce que ça a donné en commentaires.
Bonne semaine,
Laure