Bonjour !
D’abord, je veux vous partager à quel point j’ai été touchée et excitée par vos Tout Petits Livres. Les retours que j’ai eus par mail ou sur les commentaires m’ont donné beaucoup de joie, et je suis hyper contente qu’on ait créé cette poche de créativité et de beauté pour finir l’année. Et j’ai reçu un TPL si beau que j’ai pleuré pour Noël, donc je peux attester du pouvoir des TPL et d’en recevoir un en personne.
Si tu as envie de participer, il n’est pas trop tard, tu peux retrouver toutes les instructions ici jour après jour.
Dans ce mail tu trouveras :
Une courte invitation à changer de perspective sur les résolutions
Un exercice pour t’entraîner à développer ta capacité d’attention
J’avais prévu de commencer cette Love Note par une découverte, via l’excellente newsletter de Maggie Smith (la poétesse, pas l’actrice) : le mot résolution vient du latin resolutio « action de dénouer, désagrégation, décomposition d'un tout » mais aussi “relâchement”.
Les résolutions de nouvel An me font depuis un moment un effet de tension presque douloureux : comme si ce qu’il fallait résoudre, c’est soi-même. Comme si chaque année, il fallait profiter de la nouvelle année pour choisir où on va se corriger, raboter quelques défauts par ci, quelques centimètres jugés disgracieux par là. La comparaison infernale de ce qu’est la vie par rapport à ce qu’on pense qu’elle devrait être. Et bien sûr il y a plein de façons de profiter de la nouvelle année pour se poser, oser imaginer ce qu’on veut et créer à partir de là, sans cette tension, en s’écoutant on sait vite de quel côté on tombe.
Il y a une phrase que j’ai écrite il y a quelques années et que j’aime beaucoup :
Tu n’es pas un problème à résoudre, mais un trésor à découvrir
Ce n’est pas toujours facile à appliquer, mais c’est quelque chose dont j’essaie de me souvenir quand je deviens dure avec moi-même, surtout dans des périodes d’incertitude ou mon réflexe c’est de me juger puis de flipper.
Et si l’invitation, justement, c’était de regarder ces fameuses résolutions comme une opportunité de se relâcher un peu plus chaque année ? De se foutre un peu plus la paix avec qui on est, et d’arrêter de se résoudre en permanence. Une année à se découvrir goûter et se désagréger joyeusement.
Donc je te souhaite une année à laisser se désagréger ce qui ne te sert plus, à relâcher les tensions inutiles et à t’émerveiller de la façon qu’a la vie de toujours résoudre les problèmes qu’on crée, de façon créative (j’ai pas dit que c’était toujours notre préférence, mais c’est créatif).
La grâce de l’attention
L’attention, à son plus haut degré, est la même chose que la prière. Elle suppose la foi et l’amour.
et aussi
L’attention consiste à suspendre sa pensée, à la laisser disponible, vide et pénétrable à l’objet (…).
Simone WEIL
Pour aller concrètement dans ce sens, l’attention est un excellent endroit où commencer. Accorder son attention, c’est entrer dans un espace de curiosité, de découverte et accepter de ne pas savoir. Sans ces qualités, l’attention se transforme en une espèce de bouillie de jugements, de contrôle et de raccourcis.
L’attention, c’est la porte d’entrée vers le Mystère : si tu passes quelques minutes même à accorder ton attention à quelque chose ou quelqu’un, tu te rends très vite compte qu’on ne “connaît” rien, on peut seulement faire l’expérience du moment en étant pleinement disponible. Ça vaut pour les arbres, les animaux, les autres, et soi-même. Quel repos de ne pas avoir à tout connaître, juste à être disponible pour ce qui se passe.
Cette qualité d’attention, d’après moi, est directement liée à ce qu’on appelle le génie. Des oeuvres ou des instants qui nous touchent, comme si elles venaient de nous parler de quelque chose de profondément vrai. C’est une phrase, un geste de gymnastique, un instant de grâce, qui ouvrent la porte vers quelque chose d’invisible et d’infiniment précieux. On ne sait même pas pourquoi on est touchés, des fois, on sent juste qu’il s’est passé quelque chose d’indescriptible. Le génie, c’est un ressenti physique direct.
D’ailleurs je ne pense pas que le génie soit une personne, mais plus la rencontre de trois ingrédients :
la capacité à accorder son attention pleine et entière,
l’envie d’explorer une ou des formes d’expressions,
la capacité technique à transcrire l’invisible dans le visible.
De ces trois ingrédients, le premier est crucial, parce que les deux autres en découlent. Il faut être capable de cette curiosité ouverte pour écouter ses envies, même si elles semblent déraisonnables ou bizarres. Et c’est cette envie qui va donner l’énergie et la persévérance pour s’entraîner et élargir sa capacité technique à transcrire tout ça dans la matière. Buckminster Fuller, un architecte américain dit que :
“Le génie est celle·ui qui n’a pas été abîmé·e par l’éducation”
Je l’entends dans le sens où plus on croit que l’on sait, plus on entoure la vie de concepts, d’idées et d’habitudes (comme l’habitude de se juger ou de mal se parler), plus on s’éloigne de la joie pure et de la plongée totale qui permet au génie de s’exprimer. On se coupe de la beauté et du mystère de ce qui nous entoure, et de nous-même. L’éducation va nous amener à avoir des avis, à être d’accord ou pas, à trouver que ça c’est bien et ça c’est nul, et dans ce processus on passe à côté de la singularité parfaite de chacun·e.
L’éducation est souvent un exercice de conformité (qui nourrit bien ces fameuses “bonnes résolutions”) : on apprend qui on est censé·e être ou ce qu’on est censé·e faire plutôt que de se découvrir et d’apprendre à être à l’aise avec l’inconnu.
Ce processus de s’ouvrir à ce qui est et de plonger dans le mystère est, à mon avis, la chose la plus importante qu’on peut apprendre dans cette vie. On peut passer par de multiples chemins pour y arriver : l’art, la méditation, les relations, certains outils de connaissance de soi, le retrait du monde, l’immersion dans le monde, etc. Chacun·e trouvera sa façon d’y aller si l’envie est là.
Par éducation, on cherche plutôt des certitudes et des bonnes réponses. Heureusement la vie est très douée pour nous mettre face à notre arrogance et nous ramener dans l’humilité et l’inattendu de cette vie d’humain. Plus on apprend à cultiver cette posture d’attention curieuse et ouverte, plus on arrive à voir les cadeaux qui se présentent, plutôt que se raccrocher au connu et courir après un état passé ou futur qui nous semble “mieux”.
Il y a peu d’humains qui reçoivent la vérité, complète et absolue, en un instant d’illumination. La plupart l’acquiert fragment par fragment, à petite échelle, en étapes successives, organiquement, comme une mosaïque laborieuse.
Anaïs Nin1
La merveille, c’est que les portes s’ouvrent dans les deux sens : en développant ton attention, tu vas découvrir ton univers intérieur : ce à quoi tu accordes de l’importance, ce qui te surprend, ce qui t’attire, te donne envie de plonger plus profondément, ton imaginaire, tes émotions, et tu vas aussi découvrir la richesse du monde qui t’entoure.
Savoir accorder ou porter son attention, c’est s’offrir le monde : un monde magique, inconnu, insaisissable et fantastique qui est juste là, disponible à tout moment.
Un exercice pour entraîner son attention (ou juste pour être surpris·e) :
Choisis intuitivement un objet dans la pièce (ça peut être un truc très banal du quotidien, pas besoin d’un objet que tu apprécies particulièrement), et pose le quelque part. Assieds toi à un endroit d’où tu vois l’objet en entier. Tu peux jouer avec les angles et le regarder du dessus, de côté, d’en dessous…
Mets un timer sur 5 ou 10 minutes, et pendant ce temps, observe cet objet sans bouger. N’aie pas d’autre intention pour cet exercice que d’observer cet objet avec curiosité. Si des pensées ou des émotions (l’ennui va sans doute faire une apparition) viennent, tu peux juste voir que c’est là, et ramener ton attention sur l’objet
Après le premier round, prends l’objet avec toi, et relance un timer de même durée. Cette fois observe l’objet en étant en relation sensorielle avec : tu peux le bouger, le tourner, le regarder et l’expérimenter sous toutes ses coutures.
Si tu le sens, répète l’expérience avec le même objet pendant une semaine.
Si tu en sens l’élan, tu peux écrire sur cet objet, ou le dessiner. Voir ce qui change de jour en jour quand tu accordes pleinement ton attention à quelque chose.
Si tu en as envie, partage en commentaire ton expérience, et invite d’autres à participer avec toi.
Je te souhaite une année de curiosité, d’amour et de mystère.
Laure
Merci à Ranit Chakraborty pour cette photo
Pour aller plus loin (les sources sont en anglais) :
Learning by Heart, Corita Kent
Pay attention, essai de Jeannine Ouellette
The practicing mind, Thomas B. Sterner
Cette citation et celle de Buckminster Fuller sont issues du livre Learning by Heart sur les méthodes et l’enseignement de l’artiste et religieuse américaine Corita Kent. Ce livre n’est pas traduit mais si tu parles anglais et t’intéresses à la pédagogie et à la créativité, c’est un bijou.