Pourquoi la méditation c'est chiant
Ou plus exactement, pourquoi ça ne marche pas pour tout le monde
Une fois qu’on se dit que le GPS de notre vie, c’est la joie, et qu’il “suffit” de s’écouter pour y aller, on peut rester comme deux ronds de flan 1 à se dire : ok c’est bien beau, mais comment on fait pour s’écouter, concrètement ?
Et la tentation d’aller taper “apprendre à s’écouter” sur google est forte parce que franchement, pour un truc qui devrait être aussi naturel, on n’a vraiment pas le mode d’emploi.
Souvent, on a une idée de ce à quoi ça doit ressembler, s’écouter. On regarde le Dalaï lama, deux trois vidéos sur la méditation, ou on croise des gens qui parlent très lentement et ont l’air un peu béat, ils expliquent qu’ils ont découvert leur vraie nature au fond d’un ashram en se levant à 6h pour méditer sur un coussin violet moche en mangeant en silence et en faisant de longues marches dans la nature.
Et paf, on se crée une idée sur le fait de s’écouter.
Comme tous les outils, la méditation peut être à ton service, ou bien ça peut être une fuite, un truc pénible que tu fais parce que dans tel livre ya un neurologue qui a dit que c’est bon pour les ondes alpha oméga chépaquoi dans ton cerveau.
Comme tous les outils, c’est juste une porte, ce qui est intéressant c’est ce qu’il y a de l’autre côté.
Comme tous les outils, ça peut être à ton service à un moment, puis plus du tout par la suite. Et comment tu vas le savoir ?
En t’écoutant.
Ah non mais elle se fout de nous là.
S’écouter, ça ressemble à rien
La personne que je connais et qui s’écoute le mieux, c’est ma pote Flora. Elle a carrément créé une méthode entière pour mieux se connaître et apprendre à respecter son fonctionnement naturel2.
Flora, elle ne médite pas, elle ne fait pas de yoga, elle ne s’habille pas dans des grands vêtements amples beigeasses pour te montrer à quel point elle est au dessus de toute cette répugnante humanité. Elle ne fait pas grand chose qui ressemble à de l’écoute, et pourtant elle s’écoute, tout le temps.
Elle ne cherche pas à donner une forme à son écoute, mais elle a un désir de vérité qui est très fort. Elle est pas d’accord pour se raconter des histoires.
Un jour en voiture, je lui parlais de mes relations amoureuses, du fait que je m’étais jugée très durement à chaque fois. Je voyais que j’avais une image très déformée de moi, mais je voyais pas non plus comment m’en décoller. Elle m’a dit un truc qui m’a marquée :
“En fait ce qui a marché pour moi, c’est d’aller m’explorer avec de la curiosité. J’y allais pas pour trouver que des trucs beaux ou que des trucs à aimer. Si tu y vas pour chercher des trucs à aimer, c’est déjà foutu, t’as déjà mis des conditions à ce que tu vas regarder. Mais si tu y vas juste avec de la curiosité pour ce qui est là, sans a priori que tu vas aimer ou pas ce que tu trouves, bah en fait t’aimes tout ce que tu trouves.”
Flora Douville dans la voiture
Si tu t’écoutes ou que tu fais les choses “pour” t’améliorer comme humain, ou pour te guérir, perdre du poids, trouver l’amour ou je ne sais quoi, en fait tu as déjà perdu.
La seule chose qui fonctionne, c’est d’écouter pour découvrir ce qu’il y a à découvrir.
C’est pas que tu sais pas écouter, c’est que t’as pas envie d’entendre
Par exemple, si tu as un élan de quitter ton job, mais à peine arrive cette pensée ou sensation, que tu l’écrases parce que tu as la trouille d’être vue comme quelqu’un de pas fiable, de perdre la sécurité que tu as, ou de pas savoir ce que tu vas faire après. En t’écrasant, tu rajoutes énormément de complexité sur ce qui est là. Du coup l’élan de départ, qui est simple : j’ai envie de quitter ce job, il n’est même pas écouté ou pris en compte, il est tout de suite mis en étau entre les raisons pour lesquelles il devrait pas être là et des conséquences imaginaires et catastrophiques.
Pas étonnant qu’ensuite tu sois stressée et anxieuse ! Et après pour calmer toute cette tension, tu te retrouves dans un ashram à péter du légume vert en mâchonnant des mantras. Sauf que si tu es toujours accrochée à tes histoires plutôt qu’à la vérité, tu peux écumer tous les coussins de méditation du monde, ça va rien changer.
Au fait : je n’ai absolument rien contre la méditation, les légumes ou les ashrams. Je les prends comme des symboles de trucs qu’on fait parce que ça ressemble à de l’écoute de soi, alors que ce ne sont que des moyens, pas des recettes garanties.
Si tu regardes des personnes qui ont l’air plus sages, plus zen plus dans l’amour que toi, c’est facile de s’accrocher à la forme que ça prend, plutôt que de regarder au fond.
C’est tentant de regarder la surface et de conclure : “bon ok, pour atteindre ce niveau de sagesse et de joie, faut méditer, manger très lentement et en conscience, aimer mon prochain même quand j’ai envie de lui faire bouffer ses molaires et faire du yoga”. Et si t’essaies, ça ne va pas marcher. Et tu conclues que tu dois vraiment un sous-être condamné à une vie pénible parce que t’arrives même pas à méditer même quand tu l’as décidé et que t’as acheté un super livre de méditation et une appli et un calendrier mignon pour cocher les cases des jours où t’as réussi à le faire.
Ce qui ne t’aide pas, c’est que certaines personnes ont débloqué des choses chez elles grâce à un outil, et elles se disent “mais c’est génial faut que tout le monde le fasse”, elles écrivent des livres ou donnent des conférences hyper convaincantes et hop, te revoilà avec une nouvelle idée sur comment s’écouter, qui ne part toujours pas de toi.
Donc :
Ce n’est pas parce que ça marche pour eux que ça marche pour toi. Et ce n’est pas parce que ça ne marche pas pour toi que tu es un cas désespéré.
N’en déplaise aux articles putaclic, tu n’es pas une statistique. Si ça marche pour 90% des gens et que ça ne fonctionne pas pour toi, c’est que ça ne fonctionne pas. Ça fonctionnera peut-être plus tard, ou jamais, mais là, dans l’instant, ça le fait pas. Tu peux regarder ça très simplement, ou tu peux te torturer en te forçant à y aller quand même.
Avant d’écouter, il faut décider d’ouvrir la porte
La première étape, la plus importante, c’est de décider : est-ce que tu veux la réalité ? ou est-ce que t’as envie de continuer à rester dans le monde que tu connais, et qui est rassurant même s’il est pénible par moments.
La réalité (= ce qui est là) est toujours plus simple et plus directe que les histoires que tu te racontes ou les faux problèmes que tu t’inventes. Même dans la pire situation, ce qui est là est toujours plus reposant.
Par contre la réalité est pas là pour te faire plaisir et n’a aucun respect pour tes principes, ta morale, ou ce que tu crois qui doit se passer.
Ce qui est là, c’est la seule chose que tu peux écouter. Tu peux pas écouter ce qui n’est plus là ou ce qui n’est pas encore là. C’est d’une simplicité très grande. Tellement grande qu’on passe à côté.
Et là tu vois tout de suite l’obstacle principal à l’écoute : c’est pas que t’as pas passé assez de temps à parfaire ton lotus. C’est qu’il y a trop de trucs que tu n’as pas envie d’entendre.
C’est *aussi* simple que ça.
Dans le livre Tao Te Ching, le premier chapitre dit :
"L’âme qui ne veut rien voit ce qui est caché, et l'âme qui ne cesse de vouloir ne voit que ce qu'elle veut." Tao Te Ching, traduction de ma part depuis la version d'Ursula K. Le Guin
Quand il y a des choses que tu ne veux pas voir ou entendre, la réalité n’a même pas le temps d’arriver jusqu’à toi qu’elle est déjà rhabillée :
d’histoires : “c’est toujours la même chose de toutes façons”
de jugements : “non mais je suis vraiment trop con·ne”
de contexte : “d’habitude ça se passe pas comme ça”
d’émotions : “je vais péter un câble si ça continue”
de pensées dans tous les sens.
Et paf, tu te coupes de la simplicité extrême de ce qui est là.
Par exemple, si tu viens de mettre une claque à ton enfant et tu te sens mal. Ça, c’est la réalité. Tout ce que tu vas ajouter là dessus : je suis un monstre, c’est horrible, il va être marqué pour la vie, j’aurais jamais du faire ça, en même temps c’est pas possible ils me mettent à bout ces petits cons. Oh mon dieu je viens de penser que mon enfant est un petit con je suis une psychopathe, je vais gâcher leur vie comme ma grand-mère a fait avec ma mère. Si les gens voyaient ce qui se passe dans ma tête ils me prendraient les enfants pour les faire adopter, etc etc.
Tout ça c’est l’histoire. La réalité est beaucoup beaucoup plus simple : tu as mis une claque à ton enfant, et tu te sens mal. Point.
Mais dans cet exemple, comme tu te sens mal, t’as envie de tout de suite corriger la situation, et au lieu d’écouter ce qui se passe, tu vas réagir. Coupée de la réalité, tu pars en spirale dans les jugements et tu vas piocher dans ces options :
Crier encore plus fort sur l’enfant parce que c’est de sa faute que tu t’es mis·e en colère
T’excuser profusément, essayer de le consoler, de lui changer les idées, de l’amadouer pour te faire pardonner
Partir dans une flagellation émotionnelle intense
Appeler quelqu’un pour te plaindre et t’entendre dire que c’est pas si grave
Autre choix qui te permet de mettre un couvercle sur l’intensité du moment
Dans tout ça, il a manqué l’écoute. Tu passes directement de ce qui est là à la réaction, sans temps mort, sans respiration, sans aller voir ce qui se passe à l’intérieur.
Dès qu’il y a du stress, de la tension, de la confusion, du malaise, tu peux être sûr·e et certain·e que l’écoute a été zappée. Il y a quelque chose qui lutte avec la réalité. Qui veut autre chose que ce qui est là.
L’écoute c’est en dehors des jugements, de la morale, du bien du mal, de tes conditionnements. Être disponible pour ce qui est là, c’est d’abord être capable de le regarder sans essayer d’en faire quelque chose.
La deuxième étape, c’est d’aller au delà de tes histoires pour rencontrer la réalité.
Personne ne peut prendre la décision à ta place. Quand c’est le moment, ça se fait. Si tu lis ces lignes, c’est très probable qu’il y a déjà quelque chose chez toi qui en a marre de la complexité inutile et des pseudo-drames. Quelque chose en toi aspire à te retrouver, à te rencontrer et t’écouter au-delà des histoires.
Si tu as l’intention sincère de regarder la réalité, tu vas trouver ton chemin, et il ne ressemblera pas forcément à celui des autres, même les très grands sages ou modèles que tu admires.
Le plus “dur”, c’est de le décider. Le reste suit.
Oui, c’est chiant comme conseil, ça paraît pas très pratique, mais dans l’autre sens, si tu n’as pas vraiment envie de voir ce qui est là, tu vas toujours trouver une façon de transformer la réalité en ce que tu veux dans ta tête. Et l’écoute ne sera pas là.
Commence petit
Quelques pistes à explorer :
Commence par tes désirs. Ecoute ce qui te fait envie d’un moment à l’autre, et vois ce que tu découvres. Repère si des jugements s’invitent.
Ou bien commence par ton corps. Prends quelques secondes quand tu t’assieds pour ajuster ta position au lieu d’être en mode automatique. Quand tu te lèves le matin, prends une ou deux respirations conscientes et observe comment tu te sens. Repère si des jugements ou des histoires débarquent.
Observe ton rythme : prends des pauses régulièrement pour te demander ce qui se passe pour toi à ce moment et ce dont tu as envie. Regarde ce qui se passe et les pensées qui te traversent.
Ralentis : quelle que soit la forme que ça prend, entraîne toi à ralentir, surtout quand ça s’emballe à l’intérieur. Au moins, commence à repérer les moments où tu quittes la réalité pour te raconter des histoires dessus.
Ajoute un temps de pause dans les conversations. Au lieu de répondre du tac au tac, vois ce qui se passe si tu laisses un temps entre ce que la personne vient de te dire et ton retour. Qu’est-ce qui se passe dans ce silence ?
2 observations :
Il n’y a pas de “petit” truc à écouter. C’est un piège de s’imaginer que s’écouter, ça doit forcément être un truc énorme et compliqué. Tu as un peu mal au pied et tu as envie de changer de position ? C’est de l’écoute. Tu as un sentiment de gêne quand quelqu’un te parle et tu ne sais pas ce que c’est ? C’est de l’écoute.
S’écouter ce n’est pas avoir la bonne réponse. Si tu t’écoutes en mettant de l’enjeu dessus : “ah je m’écoute pour ne plus jamais répéter mes erreurs du passé”, alors c’est déjà conditionné, tu es déjà en train d’écouter au travers de l’histoire que tu te racontes
A toi de partager : quel est le “truc” qui te permet de t’écouter ?
15 points Gryffondor
La méthode de Flora s’appelle la Méta et tu peux trouver plus d’infos ici :