Bonjour !
Je t’écris depuis le canapé où j’ai élu domicile depuis déjà deux semaines : c’est devenu mon royaume, mon lieu de repas, de vie, de sociabilité et surtout de repos.
C’est toujours surprenant comme la vie peut changer de trajectoire, du tout au tout, en un instant. Tout ce qui semble “logique” et “normal” n’est qu’une illusion : que ce qui existe va continuer à exister en l’état. Ça vaut pour les bonnes choses comme pour les mauvaises nouvelles. La vie a son sens du timing et de l’aventure qui nous dépassent complètement.
Il y a deux semaines, j’étais partie pour une simple session d’escalade, et depuis, j’ai le pied en l’air, je suis immobilisée, je me suis fait opérer et je dois attendre encore un mois et demi avant de reposer mon pied par terre. Pas du tout ce que j’avais prévu pour la fin d’année !
Au moment de partir au bloc, j’étais très nerveuse, je n’arrêtais pas de me dire qu’il y avait une possibilité que je ne me réveille pas (malgré les paroles rassurantes de l’anesthésiste “bah écoutez, au moins vous vous en rendrez pas compte”). Au lieu de boucler dans la trouille, je me suis mise à lister toutes les choses pour lesquelles j’avais envie de me réveiller.
Au début une vague de tristesse est montée : je n’ai pas de grand projet ou d’ambition à relever, pas de truc que je prendrais sur mes épaules en mode “c’est à moi de réaliser ça”. L’espèce de cliché de “J’ai la rage de vivre pour xxxxx”. J’ai pas la rage de vivre, je constate.
Et puis j’ai vu la mer, la sensation de l’eau sur mon visage quand je pars mater les poissons des rochers, les jeux du soleil et leurs couleurs sur la roche, le vent dans les cheveux quand il fait chaud, les pieds sur le sable avec tous les grains qui se coincent partout et qui m’énervent. J’ai pensé à la joue collante de mes neveux et ma nièce, au contact de mes pieds sur le sol, à la sensation du soleil sur les bras, d’un bon livre dans mes mains, à la terrasse d’un café. La main dans la barbe de mon amoureux.
Je n’ai plus la rage, mais j’ai la douceur de vivre, et pourquoi ce ne serait pas une force aussi puissante pour revenir et profiter de la vie ?
C’était drôle de constater que si je voulais vraiment me réveiller, c’était pas pour accomplir mon destin, publier des best-sellers ou accompagner des entrepreneur·es à monter des boîtes fantastiques, donner des conférences dans le monde entier et apporter ma pierre au monde de l’accompagnement et de l’écriture. Tout ça est très chouette, et pourquoi pas, mais là, dans ce lit d’hôpital, face à un écran flou qui diffusait un documentaire sur Saint Barth et une bande son douteuse (j’ai cru que le dernier son que j’allais entendre de ma vie ce serait Vianney, et là, c’est non, rien que pour ça j’étais obligée de me réveiller), je voulais juste me réveiller pour aller mettre les pieds dans l’eau et toucher les gens que j’aime.
Is it cucul ? Probablement. Mais pour moi qui ait accordé tellement d’importance à ma carrière et qui me suis angoissée avec qui je suis si je n’ai pas une direction, un job, un titre pour me dire où je vais, c’est très reposant de voir que finalement, quand je me mets un coup de flippe morbide, rien de tout ça n’est important. C’est pas pour ça que j’ai envie d’être là.
J’ai même écrit un poème que je mettrais à la fin si t’as envie de le lire.
Exercice d’écriture : pourquoi tu restes ?
Je te propose aujourd’hui de partir librement et d’écrire sans t’arrêter, en mode écriture automatique, sur 10 ou 15 minutes comme tu veux, en commençant par :
Voilà pourquoi je reste, …
Si tu veux une contrainte supplémentaire, je te propose de passer par le corps, et pas seulement par la tête, pour écrire ce texte. Laisse toi porter par les sensations, le concret, le visible. Pars de tes sensations corporelles et laisse toi guider par ça.
Bonne écriture et bonne fin de semaine,
Laure
Voici le texte que j’ai écrit en sortant de l’anesthésie, la tête dans le gaz.
1 chance sur 18 millions
La télé diffuse un clip
Le type du clip s’égosille
“I’m ‘bout to lose controoooool”
Le grand anesthésiste annonce :
“1 chance sur 18 millions que ça se passe mal
Vous pouvez aussi gagner au loto”
et je pense que si je reviens ce sera
pour passer mes doigts dans les poils emmêlés de ta barbe
sentir l’eau froide sur mon ventre
la Méditerranée
prendre les joues de mes neveux dans les mains
sentir sous mes pieds le sol
ce sera pas
les grands objectifs les ambitions les trophées
“Bravo pour tout ce que vous avez fait”
la fierté c’est pas le bonheur
mais le sable qui colle aux orteils
les crayons qui crissent le papier
le goût des fraises des bois qu’on trouve dans la forêt
le goût de tout ce qu’on trouve dans la forêt ou qu’on fait pousser dans son jardin
qui dit “je suis en vie putain”
Merci Laure !!! A défaut d'écrire, actuellement, c'est BON de te lire, de partager cette envie de Douceur et de Choses Simples, mais tellement Goûtues... Bonne Saveur et Gai Rions-en à toi *^)
"je n'ai plus la rage mais j'ai la douceur de vivre" merci pour ça, que c'est bon ♥
Je me faisais une réflexion similaire cette semaine, constatant qu'à l'aube de mes 48 ans, j'avais moins envie d'intensité que d'expériences douces et nourrissantes.