Bonjour à toi,
Quelques nouvelles avant de commencer : je ne t’écris pas de Quito en Equateur comme j’espérais, je t’écris de Lyon, en France, d’où je n’ai pas pris l’avion samedi matin pour aller au bout du monde.
Je n’ai pas annulé le plan, je dois juste le décaler : mon amie équatorienne a eu un souci de santé (elle va mieux, mais elle a besoin de temps pour se reposer) et du coup j’ai décalé mon voyage à mai, ce qui me laisse le temps de préparer tout ça, et peut-être de faire une version pilote du projet de résidence d’écriture avec des femmes en France. Je vous dirai ce qui sort de tout ça.

Aujourd’hui, je vous propose un nouveau format : ci-dessous j’ai mis la vidéo et le texte d’un poème que j’ai écrit qui s’appelle Wishlist, et j’ai envie de vous partager comment il est né.
Pour les abonné·es payant·es, vous aurez aussi cette semaine une vidéo où je détaille le processus d’édition et comment je suis passée d’un article très bof à ce poème que j’aime beaucoup. Et on pourra s’échanger nos meilleurs conseils pour finaliser nos textes !
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La naissance d’un poème
J’ai écrit pour une soirée open mic à la librairie à côté de chez moi, à partir d’un texte un peu moyen que j’avais écrit dans un moment de colère et d’insécurité sur mon propre corps.
Ingrédient #1 : J’avais une deadline, ce qui est toujours pratique pour faire aboutir les textes, et une contrainte : un poème à lire à voix haute. Ça m’a donné un cadre suffisant pour créer ce texte.
Ingrédient #2 : J’avais un texte de départ, que j’avais écrit en mode “je vide mon sac”. En le relisant je le trouvais vraiment pas ouf (alors que je l’avais trouvé top quand je l’ai sorti) mais je sentais qu’il y avait un poème caché dedans, notamment la phrase “On brûle et ils prennent” que j’aimais beaucoup. Je suis repartie de là, et j’ai commencé à jouer sur ce vocabulaire et voir comment il avait envie de se dérouler dans un poème.
Ingrédient #3 : J’ai copié collé le texte bof dans un nouveau document (je déteste jeter des textes je préfère avoir des copies), et puis j’ai quasiment tout changé. Je n’étais plus du tout dans le même état émotionnel, et je n’avais plus envie d’exprimer la même chose, donc ça demandait pas mal d’aménagements. Le premier texte était plus centré sur l’expérience des femmes et dans cette version je voulais inclure l’expérience de la masculinité, l’absurdité des deux pôles et des deux exigences. Finalement j’ai quasiment tout changé sauf le début et cette phrase.
Ingrédient #4 : C’est mon conseil d’édition le plus important et efficace : lire à voix haute. Comme là c’était pour un open mic, j’ai encore plus retravaillé le rythme et le jeu des consonnes. Je l’ai lu et relu et rererererelu à voix haute pour le sentir, et savoir quelles parties garder ou pas.
Ingrédient #5 : Emprunter et voler. Je me suis laissée inspirer par des discussions, une rencontre avec une poétesse, j’ai même joué avec le fait de reprendre une phrase entière d’un poème que j’adore. Bref, j’ai pioché dans mes briques de lego pour construire le texte final.
Ingrédient #6 : Dormir dessus. La première version a demandé un après-midi de travail, mais j’ai continué à faire de petites modifs dans la journée suivante et même après la lecture.
Ingrédient #7 : Laisser l’imperfection être là. Je ne suis pas encore convaincue par les endroits où j’ai choisi d’aller à la ligne. Je suis certaine que dans un an je relirai ce texte et j’aurai envie de changer 1000 choses, mais il n’y a pas de deuxième pas sans le premier, et c’est comme ça que j’ai pu me satisfaire de ce texte.
Si ça t’intéresse, je donnerai plus de détails sur quelles inspirations et lectures j’ai utilisées, et comment, les étapes pour transformer l’article en poème, et qu’on se partage nos conseils pour finaliser nos textes dans l’édition des abonnées de cette semaine.
Bonne semaine !
Laure
C’est ma première fois à m’enregistrer en lisant, c’est loin d’être parfait mais ça existe !
Wishlist
Ce matin en voyant mon corps dans le miroir je me dis « oh! J’ai maigri » et je me réjouis.
Quelle joie d’avoir rétréci, quelle beauté, ce corps raffermi.
Je sais comme on m’a appris :
moins tu prends de place plus
tu es
à ta place.
De l’autre côté de l’humanité, le droit à exister se vend au kilo de développé couché.
Pendant qu’on court, qu’on squatte, qu’on compte les calories et qu’on claque du cardio,
Ils se toisent le torse à l’air, tractent et tendent et tirent sur leurs trapèzes
Ils boufferont des prot’ pour nourrir ces corps massifs,
on sautera la vinaigrette sur le blanc de poulet parce que c’est plus *équilibré.*
Sans relâche on brûle, et ils prennent.
On brûle et ils prennent.
On brûle
Et ils prennent.
Le bûcher est moderne, on y va sous les encouragements,
1 squat, 2 squats, 3 squats, et que ça brûûûûûûûûûûûûûle.
Une existence mesurée en tour de taille, l’autre en tour de bras.
Deux prisons pour un même combat.
C’est mon grand-père qui refuse de se reposer ou de poser moins de briques dans la brouette car la mesure de sa masculinité se compte en kilogrammes soulevés.
C’est ma copine qui mange deux sushis “sans riz merci” à midi parce qu’elle s’est enfilée “un méga burger” juste avant. A l’entendre elle mange énormément
des repas imaginaires qui ont toujours lieu
hier.
C’est mon ventre que je rentrais, tout le temps, parce qu’il n’est pas censé dépasser. Mes organes compressés valaient bien les quelques centimètres gagnés.
Alors j’ai une wishlist pour cette année :
Cet espace vidé de mon corps, que mes désirs le remplissent.
Ces cuisses qui se touchent et soi-disant ne devraient pas,
qu’elles s’ouvrent seulement pour que j’en jouisse.
Ce ventre qui ne sera sans doute jamais plat,
qu’il enfle, qu’il ondule, qu’il s’avachisse.
Je ne veux plus cacher les plis, annuler les années.
Je veux nos corps tremblants, vivants, ridés.
Quand on sera vieux, dis, on se foutra enfin la paix ?
Laure Jouteau
Bonjour Laure,
J’ai beaucoup aimé ton poème, c’est tellement vrai ! Je ne suis pas sûre que l’on se foute la paix avec l’âge, tant que l’on dépend du regard des autres, car il conditionne notre regard sur nous. Trouver sa place est un chemin d’ajustage permanent et changeant. Mais c’est la conscience de ce chemin, qui pour moi est la beauté de la vie, et l’écriture au fur et à mesure de nos expériences, permet de ne pas en perdre une miette, et d’apprécier le chemin parcouru. Merci pour tes partages 🙏😘