Bonjour à toi, Béate Bibliophile,
On commence par les annonces : comment on peut travailler ensemble, puis un article sur : mais à quoi ça sert, de créer (surtout si on n’est pas « artiste ») ?
Je pense que tout le monde a un livre en soi. Si tu sens que c’est le moment de rencontrer le tien, le programme Ecris un petit livre commence en janvier, toutes les infos sont là
Je commence à bien avancer sur le programme de l’année 2024. Un petit teaser : il y aura :
Des cercles de coaching (un pour les entre deux, et un pour les meufs qui osent)
Le programme : Ecris un petit livre, pour faire naître ce bouquin que seule toi peux écrire
Une retraite d’été : Reconnecter son âme d’artiste
Il y a trois ou quatre ans maintenant, j’ai pris une guitare, un peu par hasard (j’avais déménagé et il n’y avait plus de place pour mon piano électrique), et ça a été un coup de foudre inattendu.
Je me suis mise à passer des heures dessus tous les jours à apprendre des accords, à explorer les notes, à retrouver des mélodies, à essayer de m’accompagner en chant. Dès que je me posais avec cette guitare, j’avais l’impression d’entrer dans une nouvelle dimension et de ne plus voir le temps passer.
Par contre j’étais bien embêtée dès qu’on me demandait de « jouer un truc ». Je ne savais jouer aucun truc (c’est toujours le cas). Ma relation à cet instrument est très libre. J’ai senti que je créais des liens avec la guitare, la musique, mais je ne me mettais pas à apprendre des morceaux ou des solos. Je suivais ma curiosité sans me mettre d’enjeu.
A un moment je me suis questionnée : bon c’est bien beau d’y passer des heures, mais faudrait pouvoir montrer quelque chose. Alors j’ai commencé à chercher un prof, à apprendre des morceaux. Une tension s’est installée : je voulais un plan, je commençais à chercher des résultats et à me juger si je ne pratiquais pas. Je me posais mille questions sur la bonne façon d’y aller, je cherchais à être rassurée que je faisais bien ce qu’il fallait.
En fait, mon plus gros plaisir à la guitare reste purement égoïste. Dès que la question de montrer ce que je fais entre en jeu, je perds cette qualité qui est là quand je ne joue que pour moi. Peut être que ça changera, peut être pas.
A l’inverse dans l’écriture, j’adore être lue et partager ce que je fais. J’ai commencé cette newsletter hebdomadaire il y a bientôt 10 ans, et je suis toujours aussi émerveillée de découvrir que de vrais humains la lisent, réagissent, m’écrivent à leur tour.
Mais alors, à quoi ça sert de jouer sans rien montrer ? Ou d’écrire pendant 10 ans sans en faire un « truc » tangible ?
Une pause dans la litanie des tâches et accomplissements
C’est évident que tout le monde ne va pas devenir artiste, au sens de : vendre ses oeuvres et en faire son métier. Pourtant, je pense que vivre sans espace pour sa sensibilité, son goût artistique, sans capacité à se poser pour créer, c’est vivre coupé·e de soi.
Ou dit dans l’autre sens : la pratique artistique, quelle que soit sa forme, nous reconnecte avec ce qu’il y a de plus proche du coeur, de l’âme, de la singularité de chacun, peu importe comment on veut l’appeler : cet endroit qui est à la fois individuel et unique, et en même temps transcendant et commun à tout le monde.
Dans notre monde obsédé par le temps et la productivité, on est aussi obsédés par la méditation, le développement personnel. On voudrait être moins stressés, angoissés mais on ne sait pas comment faire. On essaie de se forcer à ralentir et ça ne fonctionne pas, parce que c’est juste une nouvelle image idéale qu’on essaie de reproduire.
Et si on arrêtait de s’améliorer et qu’on prenait le temps de se goûter ?
Créer, c’est se rappeler le goût d’être en vie, qu’on n’est pas juste là pour enfiler des tâches et fuir l’inconfort et l’ennui.
A quoi bon et pourquoi pas ?
Il y a quelques semaines je partageais à mon coach une des pensées qui me terrorise le plus : « A quoi bon ? »
Quand j’étais en fin d’adolescence, le « à quoi bon » m’a entraînée dans des moments bien sombres, à douter de l’intérêt de quoi que ce soit. J’ai passé des heures terrorisée par cette pensée et ce qu’elle impliquait, à essayer de me raccrocher à des tâches et au quotidien pour ne pas sombrer avec cette idée que finalement, à quoi bon.
Coach m’a interpelée là dessus, et plutôt que fuir, je me suis tournée vers cet à quoi bon. C’est vrai, à quoi bon ? On sait déjà tous comment l’histoire se termine. Qu’on écrive des prix Nobel ou qu’on passe les journées à regarder le gazon pousser, tout ça n’est pas si important, à la fin.
Du coup cet à quoi bon, c’est aussi la porte de la liberté :
Puisque les enjeux ne sont jamais aussi énormes qu’on le pense, pourquoi ne pas essayer ?
La pratique artistique vient directement nous plonger dans cet espace : à quoi bon regarder une fleur pendant 15 minutes, voire pendant des heures, pour la reproduire le plus fidèlement possible ? Mais aussi pourquoi pas ?
A quoi bon écrire un petit livre, qui ne sera sans doute pas un best-seller, et qui ne fait plaisir qu’à soi ?
A quoi bon passer des centaines d’heures sur une guitare si on ne peut même pas jouer un morceau ?
A quoi bon chercher le bon mot, se délecter ou s’horrifier des idées d’histoires qui sortent de soi, interviewer ses voisins, recueillir les meilleures phrases de sa nièce ou de ses enfants ?
Et pourquoi pas ? Pourquoi pas le faire juste parce que c’est joyeux, vivant, ou parce qu’on en a envie dans l’instant. A quel moment on a confondu important avec sérieux ?
Renverser le rapport au temps et à l’utile
And what, you ask, does writing teach us? First and foremost, it reminds us that we are alive and that it is a gift and a privilege, not a right.
Et, tu demandes, qu’est-ce qu’écrire nous enseigne ? Avant tout, ça nous rappelle que nous sommes en vie, et que c’est un cadeau et un privilège, pas un droit.
Ray Bradbury, Zen in the art of writing
On vit et on a grandi dans une société qui adoooooore la productivité. Plus les machines et la technologie nous ont permis d’avoir du temps, plus on s’est mis à s’obséder sur la meilleure façon de le rentabiliser. On est tombés dans notre propre piège : gagner du temps sans gagner en présence, c’est tourner en rond dans un slip cycle infini (mais très productif).
On aime les gens efficaces, les activités rentables, les plans à 3 ou 10 ans, les « hacks ». Pourtant ce n’est pas la beauté d’une to do list qui nous arrête dans nos pensées, c’est un pissenlit, une vague ou une montagne qui se découpe dans la lumière dorée de la fin de journée. C’est une phrase qui nous touche dans livre, la mort de notre personnage préféré après des épisodes d’agonie, une chanson qui nous transporte dans notre passé, ou bien nous jette contre d’autres corps dans la danse du moment.
La nature et l’art nous ramènent tout le temps à ce bonheur du moment présent, à ce sentiment insaisissable : on est vivants.
Je ne connais pas grand monde qui n’ait pas l’impression de manquer de temps, dans ce monde de l’efficacité et de l’impatience frénétique. On en fait toujours plus, et pourtant c’est jamais assez. Ça devrait nous mettre la puce à l’oreille.
Peut-être qu’à force d’aller de plus en plus vite pour gagner plus de temps, on fuit la chose qu’on cherche le plus au monde : ralentir au point d’être à nouveau en contact avec soi-même. S’extasier, créer, rager, en faire trop, pas assez, tester, se planter, s’émerveiller, pleurer, goûter à toutes les facettes d’être en vie.
La joie dans la pratique
La pratique artistique vient nous faire exactement ce cadeau : revenir à la joie et au mystère de maintenant plutôt que d’avoir le nez en permanence sur la suite et la prochaine tâche et le prochain objectif. Et j’insiste sur le terme de « pratique » : ce n’est pas juste « oh bah je vais prendre 5 minutes pour être créative et m’écouter maintenant et puis plus jamais ensuite ».
Tout notre système nous pousse à chercher des résultats, à penser que ce sera mieux plus tard, quand on aura eu ce qu’on veut, quand l’économie se sera stabilisée, quand le monde se sera effondré pour de bon, quand les enfants seront plus grands, quand on aura trouvé sa voie, … Et il y a du vrai là dedans, mais il y a aussi beaucoup de fantasme et de peur de s’arrêter dans le moment présent. Ça demande du courage d’oser prendre le temps et de passer une matinée à jouer avec des tampons encreurs, ou d’avancer dans son roman, d’écrire un poème, surtout quand c’est pas « son métier ».
Et ça ouvre les portes vers d’autres choses qu’on n’écoutait pas. Dans mon expérience, c’est à peu près au moment où j’ai commencé la guitare que je me suis mise à méditer spontanément, et puis que j’ai senti peu à peu que je devais changer de focus dans mon entreprise. C’était (c’est) inconfortable et plein d’incertitudes, mais ça m’a menée là où j’arrive aujourd’hui : j’ai créé tout un programme d’écriture, d’ateliers et d’invitations à reconnecter son âme d’artiste et d’écrivaine pour 2024, et je suis excitée (et flippée) par ce qui se prépare.
Je ne m’attendais pas à ça, et en même temps il y a une petite Laure joyeuse qui bondit à l’intérieur et qui se frotte les mains de tout ça.
Et toi ? Est-ce que tu as une pratique artistique régulière ? Qu’est-ce que ça t’apporte ? Je suis curieuse de lire tes partages et commentaires.
Pourquoi il n'y aurait que la pratique artistique et la nature pour se connecter à soi et se sentir vivant ? Il y a plein d'autres moments : en faisant la cuisine du sport, en jouant avec ses enfants, en partageant un bon moment entre amis,...en ce moment je goûte le moment présent et me sent pleinement connectée quand je partage un moment, une discussion, un échange avec qu'un d'autre. Et non pas par une pratique artistique solitaire. Bref ça dépend des gens !
Nan mais les to do list peuvent être belles et leur création un projet créatif en soi 😝 (Je parle pas de les suivre par contre, ça c'est relou).