Bonjour !
Parlons du délire mythe de l’artiste solitaire. Tu sais celui / celle qui crée au bord de l’eau sans aucune autre compagnie que le bruissement des feuilles et le cliquetis d’une machine à écrire, et pond des chef-d’oeuvres à base de son sang, ses traumas et sa volonté inflexible d’artiste.
Et à la fin, je te proposerai 4 exercices inattendus pour écrire en t’appuyant sur les autres. Pas des trucs du genre fais toi un groupe d’ami·es artistes, mais de vrais exercices d’écriture qui partent des autres, et qui te ramènent vers toi. On ne crée jamais seul·e, même quand on est seul·e derrière son écran ou sa feuille.
Jamais seule
J’ai eu envie d’écrire là dessus parce que longtemps, j’ai construit mon identité autour de ma capacité à m’en sortir toute seule. Une espèce de fierté comme un animal sauvage dans mon ventre, qui me disait “à tout moment, tu dois pouvoir retirer tes marrons du feu”. Très jeune j’ai eu l’impression que ma survie reposerait sur mes épaules, et même si j’ai eu la chance et l’aide de personnes généreuses à chaque étape, j’avais toujours ce lion solitaire en moi, prêt à bondir et à s’enfuir. J’ai déménagé beaucoup et reconstruit ma vie plusieurs fois, j’ai changé de boulot, de carrière, refait des potes, terminé et commencé de relations amoureuses.
Je ne dis pas ça avec tristesse, parce que j’ai vécu des aventures géniales, mon coeur est rempli d’amitiés précieuses aux quatre coins du monde, et cette capacité à me réinventer m’a apporté de belles choses.
La face cachée de l’indépendance : une exigence qui enferme
Ce que je ne voyais pas, c’était l’autre face de cette indépendance : une exigence inatteignable de tout savoir faire et accomplir seule et tout de suite. Une dureté qui me suivait partout : sur un mur d’escalade, je m’en voulais de ne pas réussir une voie directement ; quand je joue à des jeux vidéos stratégiques, je me trouve nulle si je dois regarder des vidéos de personnes plus expérimentées, au boulot, j’ai l’impression que je devrais être la personne la plus efficace, créative et inspirante au bout de 10 jours sur place.
C’est mon amoureux qui m’a dit, un jour où je boudais sur le tapis d’escalade qui pue des pieds : “Tu sais que même les champions olympiques tombent ?”.
Ça m’a fait un électrochoc. Non, j’avais jamais pensé que même les champions olympiques tombent, et que c’est même comme ça qu’on progresse : en faisant les choses qui ne sont pas encore accessibles, mais presque, et qui nous font découvrir de nouvelles techniques et nos limites.
Avant ça je forçais, et d’une façon pas du tout productive : je vivais dans le noir / blanc de “je suis nulle / je suis super”. Si j’y arrivais pas, je pouvais vite tomber dans un trou de remise en question personnelle, qui n’avait rien à voir avec la réalité. Je me disais “je suis nulle dans ce sport” plutôt que “ah là je finis essoufflée, j’ai pas du respirer” ou “Là j’ai besoin de regarder où je pose mon pied, j’ai glissé deux fois sur cette prise”.
C’est le paradoxe : en regardant la scène uniquement à travers le prisme de “j’y arrive = c’est normal, c’est comme ça que ça doit se passer” ou “J’y arrive pas = je suis nulle et je n’ai pas le droit de fouler cette terre du pied”, on se prive d’un des trucs les plus cools de la vie : apprendre de nouvelles choses. Et apprendre, même en autodidacte, ça se fait toujours en lien.
Comme par hasard, depuis que j’ai repéré ce mouvement et que je me suis remise à apprendre plutôt qu’à me juger, je prends beaucoup plus de plaisir à l’escalade. J’y vais en sachant que je vais tomber parfois, et comme mes attentes ne sont plus “y arriver tout le temps en toutes circonstances”, je grimpe mieux et je m’amuse carrément plus.
La vie est d’une ironie délicieuse puisque j’écris cet article depuis le canapé, immobilisée suite à une chute d’escalade que j’ai fait hier soir même. Et ce n’est pas parce que je suis passée du côté obscur et j’ai trop forcé, c’est parce qu’un mec est passé en dessous au mauvais moment, l’accident à la con.
Le problème, ce n’est pas l’activité, ou mon (supposé) manque de compétence, c’est l’attente impossible qui transforme tout en jugement de ma personne. Apprendre, ça veut dire rencontrer ce qu’on ne sait pas (encore) faire, et ça se fait en lien, en regardant, en imitant, en testant, en recommençant. Si on se demande du parfait tout de suite, non seulement c’est dur à vivre, mais en plus, on progresse moins vite parce qu’on va essayer de cacher nos zones d’incompétences ou de les éviter.
Tout apprentissage vient du lien. Toute création vient des liens qu’on a eu et qu’on crée avec d’autres : d’autres auteur·ices, d’autres artistes, nos proches, ce qui nous touche. D’où l’importance de s’entraîner à remarquer, plutôt que juger.
4 exercices d’écriture qui comptent sur les autres
Dans cette lignée, je te partage 4 façons inattendues de s’appuyer sur les autres pour tes créations. Prends du temps pour explorer ce qui te plaît, chacune de ces techniques peut t’amener de très belles découvertes, et surtout un sens du jeu et de la connexion entre toutes les créations. Arrêtons ce mythe de l’artiste solitaire qui écrirait à partir de rien et en ne comptant que sur son pur génie.
Reprendre un univers existant. Techniquement ça s’appelle les fan-fictions, des histoires qui empruntent un univers et des personnages connus pour leur faire vivre de nouvelles aventures. C’est un genre peu valorisé, alors que c’est une façon géniale d’appréhender la construction d’histoire, de sentir ce qui fait qu’un personnage est vivant et qu’on a envie de le suivre ou pas.
Reprendre un texte existant. C’est un exercice très précieux (et difficile) : lire un paragraphe ou un poème de très près, et en tirer des éléments à reprendre : le rythme, le type de vocabulaire, un retournement inattendu, une façon d’amener l’émotion, les pieds et les vers d’un poème… Tout dans un texte peut être une source d’inspiration et d’exercice. J’ai découvert auprès de Jeannine Ouellette l’exercice de reprendre un poème et d’écrire en gardant exactement le même nombre de syllabes pour chaque mot, ça m’a fait une suée, mais j’ai aussi compris en profondeur ce qui rendait le texte aussi beau et entêtant
Les traductions mystères. Dans un atelier sur la poésie et les langues étrangères, j’ai fait cet exercice : prendre un poème dans une langue qu’on ne connaît pas du tout, voire même dont on ne peut pas lire le texte (chinois, coréen, arabe, persan…), et faire traduire une ligne sur deux par google translate. Ecrire la ligne “manquante” soi-même. La poétesse Amanda Gorman faisait un exercice similaire en remplissant les extraits de poèmes de Sappho de ses propres mots, (ses poèmes n’ont été retrouvés que de façon parcellaire, et on a donc des “bouts” de textes avec des trous, parfait pour laisser libre court à son imagination).
Écrire une chanson ou un slam. Peut-être que tu peux trouver un·e ami·e musicien·ne qui fasse des mélodies, et tu écris les paroles, mais si tu n’en connais pas, tu peux partir de chansons instrumentales ou de beats sur youtube et t’entraîner à leur écrire des paroles. Et si tu n’as pas d’inspiration, tu peux mettre en musique un texte que tu aimes, ou t’entraîner à lire des poèmes ou des passages de textes qui te touchent sur fond musical. La seule règle : y aller avec légèreté, pour voir.
N’hésite pas à partager tes retours et tes créations !
Bon week-end,
Laure