Bonjour !
J’espère que cette Love Note te trouve en joie, en cocon automnal, en plein ralentissement pour accueillir la lumière orangée et les tons gris de la fin d’année qui s’approche.
On est en plein challenge 100 jours, quasiment à mi-chemin, si tu veux nous rejoindre, il est toujours temps, le groupe Whatsapp est notre espace pour cocher les cases, échanger sur nos lubies et révélations du moment. C’est un espace joyeux et sans spam, ce qui fait bien plaisir.
Dès que je dis que j’écris, les gens répondent : “Ah trop bien, on peut lire ?”. Et quand je dis “Non, c’est pas encore prêt, et il y a des chances que le premier jet soit pas ouf et demande pas mal de boulot.”, j’ai souvent droit à : “Bah te dévalorise pas comme ça.”
C’est de ça dont je veux parler aujourd’hui : le paradoxe qui peut exister entre créer et montrer. Bien sûr qu’on crée aussi pour partager, mais la création est un espace intime qui s’épanouit dans la bienveillance et la patience. Alors comment gérer nos attentes et celles des autres ? Et qu’est-ce qui est bon pour notre pratique et notre bien-être créatif ?
Si je parle de ma pratique d’écriture à ma famille, c’est encore pire, les projections de réussite peuvent devenir comiquement absurdes : mon père par exemple adore dire des trucs du genre : “Alors, c’est pour quand le prix Goncourt / le prix Renaudot / le best-seller ? ”.
Il y a quelques temps encore, ses réflexions me faisaient monter au créneau direct, en mode full adulte mature : “Mais putain tu peux pas me laisser tranquille avec tes délires de réussite ? T’as qu’à l’écrire toi même le prix Goncourt si ça te fait kiffer tant que ça.” Inévitablement le début d’un échange constructif et apaisé. J’ai compris que ses rêves de grandeur n’ont rien à voir avec moi, et depuis ça va mieux (#mercilathérapie), mais ça reste un genre de réflexion ou de sous-entendu qu’on doit souvent se cogner quand on crée, même si on le fait uniquement pour son plaisir.
Je peux lire / voir / écouter ce que tu fais ?
Voilà le paradoxe de beaucoup d’activités artistiques ou créatives : on y plaque des exigences de réussite et une curiosité qui sembleraient lunaires dans d’autres domaines.
Par exemple, je fais de l’aviron depuis 3 semaines. J’adore, je rebats les oreilles de quiconque ose poser une question vaguement en lien avec la mer, les bateaux ou même la météo (C’est cool il fait beau pour octobre ? OUI, d’ailleurs c’est un temps parfait pour l’aviron, je t’ai déjà dit que je faisais de L’AVIRON ?).
Mais, force est de constater, personne ne demande à me voir ramer. Personne ne me questionne sur ma prochaine course, personne ne sous-entend que je devrais battre un record du monde, traverser une mer ou un océan prochainement.
J’ai fait un cours de pole dance aussi, à la rentrée, et personne ne m’a demandé de taper un grand écart ou de démontrer des moves au milieu de l’open space.
Quand on y pense, c’est assez normal : on ne s’attend pas à ce que quelqu’un qui débute dans quoi que ce soit nous éblouisse par ses prouesses. On se dit que c’est cool, on pose des questions d’humains normaux : est-ce que l’activité leur plaît, qu’est-ce qu’ils aiment, quand est-ce qu’ils y vont, etc.
Alors que quand je dis que j’écris un roman pour la première fois, ou que je viens de commencer la guitare, et je sais que c’est la même chose pour les personnes qui dessinent, sculptent, font de la céramique ou tout autre activité artistique, la question la plus fréquente c’est :
“Je peux voir / écouter ce que tu fais ?”
Sauf que lire les premiers chapitres non retravaillés de mon premier roman, c’est à peu près aussi excitant que me regarder faire du rameur de salle : pas du tout.
La gênance
Le pire dans tout ça, c’est qu’à un moment tu finis par céder aux demandes. Tu montres ce que tu fais, après 1000 avertissements que ça va pas être incroyable vu que, tu t’échines à le dire, tu viens de commencer.
Et là, après t’avoir limite supplié de jeter un oeil, les gens ont l’outrecuidance de faire une petite tête déçue. Ou se sentent gênés et disent “ah ouais c’est pas mal” avec autant de conviction que si tu venais de leur faire bouffer une tarte aux salsifis bouillis.
Et ton petit coeur se retrouve déchiré entre l’indignation (Je vous avais prévenus putain) et la déception (C’est vrai que c’est pas ouf ce que je fais).
J’écris cet article pour dire STOP à cette dévalorisation publique qui n’a aucun sens, pour qu’on arrête de briser notre joie créative et nos élans artistiques pour de mauvaises raisons (c’est-à-dire : qu’on n’est pas des génies instantanés dès qu’on touche un clavier / stylo / pinceau / appareil photo / etc).
Amy McNee, l’autrice de We need your art (uniquement dispo en anglais pour le moment) résume très bien cette situation :
Le mauvais art est une partie non négociable de toute pratique créative. Le mauvais art est la porte d’entrée vers l’art médiocre, qui est la porte d’entrée vers la maîtrise de notre art.
Autrement dit : foutons-nous la paix avec nos photos bof, nos tableaux nazes, nos romans illisibles et nos poèmes à chier. Ils sont indispensables. Ils doivent exister. Ils sont la seule et unique façon de s’entraîner et de progresser dans ce qu’on aime.
Mais ils n’ont pas besoin d’un public tant qu’on n’est pas prêt·e. Et ce n’est pas automatiquement un excès d’humilité que de dire “Merci pour ta curiosité, mais ce que je fais est encore trop jeune, et trop débutant pour être partagé. Quand j’en aurais envie, je te montrerai ce que je fais, si tu es toujours intéressé à ce moment là.”
N’oublions pas la comparaison avec le sport, en cas de doute : personne ne supplie de venir voir tes matches de ping pong, même si tu en fais depuis 1 ou 2 ans, donc il n’y a pas plus de raison de leur montrer tes écrits tant que tu es dans ta phase d’apprentissage et de progression.
Quantité > qualité
Il y a cette expérience, qui a été répétée dans plusieurs domaines différents : si on demande à des gens de ne produire qu’une seule oeuvre, et que d’un autre côté on demande à des gens de produire le plus d’oeuvres possibles sans se préoccuper de qualité, le groupe de la quantité crée les trucs les plus stylés à la fin.
L’équation est simple :
quantité + pas de pression sur la qualité > > > coup de génie + pression à produire la meilleure pièce possible
C’est pour ça que les habitudes et le fait de prendre sa pratique au sérieux, pas les résultats, donne de façon fiable de meilleurs résultats que se prendre au sérieux (ouais je suis pas sûre de la lisibilité de cette phrase mais on se comprend).
Ce qui compte, c’est :
d’accorder de l’importance à ton envie de créer
de te donner un cadre pour le faire régulièrement et être soutenu·e dans ta pratique (par un groupe de pairs, des profs ou coaches qui te conviennent, ou même les Love Notes pour un coup de boost dans ta boîte ;))
de recevoir du feedback de temps en temps pour t’améliorer et ne pas tomber dans le piège inverse : ne jamais rien oser montrer parce que tu te juges trop durement
de réévaluer régulièrement tes objectifs : est-ce que tu veux prendre de bons moments pour créer parce que ça te fait du bien, est-ce que tu veux faire une expo, publier tes écrits, les lire sur une scène ouverte, vendre tes oeuvres ou tes services…
Tout le reste, ça regarde les autres, pas toi.
Toi ton taf est hyper simple : accorder du temps pour ce que tu aimes et que tu as envie d’explorer.
Ça n’a pas besoin d’être parfait ou quotidien. Une certaine régularité sera plus satisfaisante qu’un coup de collier tous les 6 mois, mais la régularité, ça arrive naturellement quand tu écoutes tes envies et à quel point tu es frustré·e quand tu ne crées pas.
Et si tu as des objectifs qui naissent de ta pratique, que tu veux absolument publier un livre par exemple, tu mets un plan en place, avec du soutien, du feedback, et tu te souviens de la règle de la quantité.
J’écoute un paquet d’auteur·ices qui parlent de leur parcours, et ils sont toutes et tous d’accord sur un truc : ça prend du temps, et t’as intérêt à aimer le processus au moins autant que le résultat si tu veux tenir dans la durée.
La prochaine fois que quelqu’un te demande à lire ton livre, ou à voir tes peintures, alors que tu n’as pas envie, invite-les à ton match de ping pong ou à ta séance de muscu à la salle à la place, ça devrait calmer les ardeurs.
Bonne semaine !
Laure