De tous les slogans publicitaires, celui-ci est sans doute l’un des plus redoutablement efficace et percutant : Just Do It.
C’est le slogan des sans excuse, de ceux qui se lèvent pour aller courir quel que soit la météo, qui se donnent les moyens et qui accomplissent des choses.
Le slogan des gagnants. On l’a vu la semaine dernière, notre façon de penser la vie tout entière repose sur l’opposition entre des parties irréconciliables : le temps perdu et le temps gagné, le bon et le mauvais, les qualités et les défauts, les gagnants et les perdants. Ça donne un sentiment de contrôle et de simplicité à la vie : je dois éviter ce qui est négatif et cultiver ce qui est positif. Hop.
Just Do It, c’est pratique, parce qu’en plus ça se mesure. Tu l’as fait ou tu l’as pas fait. C’est binaire. Ça n’a pas besoin de nuance. Comme le code des ordinateurs : c’est 1 ou c’est 0.
Face à l’intensité et la richesse d’une vie d’humain, c’est un raccourci tentant. On aimerait bien pouvoir s’épargner les émotions et les ressentis négatifs. Du coup on se donne des outils pour contrôler les choses.
Just do it.
Si tu le fais, tu as un bon point et tu as le droit d’être fière de ta vie.
Si tu ne le fais pas, tu pourras te rattraper demain.
Tant que tu ne fais pas rien, tout ira bien.
Quand ton quotidien t’échappe
Une de mes amies a fait une dépression pendant un an, au début de ses études 1, et de ses propres mots elle n’a “jamais été aussi organisée et productive”.
Comme elle ne voulait pas passer une seule seconde en tête à tête avec elle-même, elle se faisait un emploi du temps bien serré, au millimètre. Elle a cartonné scolairement, elle faisait du sport assidûment. L’image même de la meuf qui réussit, contreplaquée sur un mental qui partait en vrille.
L’auteur de Miracle Morning a lui-même construit sa méthode pour sortir d’une dépression, l’un des thèmes clés du livre, répété en boucle c’est “dépasser la médiocrité”
“Chaque jour vous et moi nous réveillons, et nous sommes face au même défi universel : dépasser la médiocrité et vivre notre plein potentiel. C’est le plus garnd défi de l’humanité - s’élever au dessus des excuses, faire ce qui est juste, donner le meilleur et créer la vie de niveau 10 que l’on veut vraiment.
Elrod, Hal. The Miracle Morning: The Not-So-Obvious Secret Guaranteed to Transform Your Life (Before 8AM). Traduction de bibi.
Et le passage à l’action frénétique, organisé et de préférences cochable sur une jolie petite liste, c’est la fuite parfaite pour le mental paniqué à l’idée de passer à côté de sa “vie niveau 10” (non mais lol).
Le seul hic, c’est que c’est la bonne réponse à la mauvaise question.
C’est la réponse à “comment accomplir le plus de choses importantes pour donner du sens à ma vie ?”
Alors que la question qui brûle de l’intérieur c’est “Qu’est-ce qui va me rendre vraiment heureux·se ?”
Le temps des machines
Trop souvent on se plie à ce que j’appelle le temps des machines. Le temps du faire. Pas la peine de lutter, une machine est toujours plus rapide et efficace que toi : elle ne fait pas de pause café, elle n’a pas ses règles, elle n’est jamais de mauvaise humeur. Ça tombe bien les machines ont été inventées pour ça : pour effectuer avec une efficacité imparable des tâches répétitives. Elles sont là pour aller plus vite, plus loin.
Sauf que le temps des machines, petit à petit, est devenu la norme pour vivre le temps.
1 ou 0
Tu l’as fait, ou tu l’as pas fait.
Ça passe à côté d’un élément fondamental des humains : on n’est pas là pour faire des choses. On est là pour être.
Les machines ont été créées pour faire, et elles remplissent parfaitement cette tâche, et carrément mieux que nous. C’est normal, ce n’est pas notre essence.
A la base, on est.
Même sur un lit d’hôpital, si tu ne pouvais plus bouger ni dire un mot. Tu serais là. Une boule de présence au présent.
Peu importe ce que tu fais.
Notre slogan ça devrait être Just Be It.
Il n’y a absolument aucun problème à se lever pour aller courir, à faire tout ce que tu veux de ta vie et de ton temps, mais si tu perds de vue qu’au fond, il n’y a jamais rien eu à faire, et que tu es, quoi qu’il arrive, complètement là et complètement intègre à chaque moment, la souffrance va devenir ta meilleure pote.
Dès que tu cherches la satisfaction à l’extérieur, tu souffres, parce que ce n’est jamais assez.
Tu as déjà remarqué que quand tu atteins un objectif, même un truc de longue date, la satisfaction est d’assez courte durée ? C’est la limite du “faire”. Ce n’est jamais assez. La satisfaction, au sens d’être profondément bien, de ressentir une forme de plénitude, et pas juste un plaisir de passage, ça ne se trouvera jamais dans l’accomplissement de tes objectifs, si nobles soient-ils. C’est juste impossible. Mais ne me crois pas sur parole, surtout, fais l’expérience par toi-même, regarde ta vie jusqu’à aujourd’hui.
Je précise que je n’écris pas ces mots depuis un trône de sagesse. Je ne détiens pas de vérité, donc passe tout ce que je dis à travers tes filtres, ton expérience. Prends ce qui te parle et qui est utile maintenant. Le reste tiltera peut-être plus tard, peut-être pas.
J’aimerais être plus sage que tout le monde (oui même toi), et faire cadeau de tout ce génie avec grâce et humilité (lol). Mais la réalité, c’est que je lutte aussi certains jours, avec le sentiment de ne pas être assez, de ne pas en faire assez. Que ma vie n’est pas à la hauteur de mon potentiel. C’est une pensée qui amène invariablement de la confusion, de la comparaison et du désamour. J’écris depuis mon expérience, pas depuis mon trône de sagesse universelle niveau 10 (enfin pas encore 😂).
C’est là qu’arrive la Pratique.
Là où le faire et l’être se rencontre : la Pratique
Une fois qu’on a dit ça, tout le monde ne va pas aller se louer un petit spot dans un ashram au sommet d’une montagne pour passer le reste de sa vie à contempler son paysage intérieur.
Ce n’est pas en rejetant le faire que l’on avance, c’est en intégrant les deux. En ayant conscience que tu n’es pas une machine 2, et en remettant l’être au coeur de ta vie, pour faire, en mode humain.
Dans son livre (excellent) The Practicing Mind, Thomas M. Sterner parle d’une bataille industrielle qui s’est livrée dans les années 70 entre l’industrie automobile américaine et japonaise. Les américains, en gros, n’arrivaient pas à comprendre pourquoi leurs voitures étaient moins bien. Et puis ça ne touchait pas que ce secteur, ça commençait à impacter d’autres domaines, notamment, les pianos.
Un revendeur part visiter une usine de piano au Japon pour essayer de comprendre quelle est la différence et pourquoi les instruments sont si biens. Il interviewe l’un des ouvriers qui travaille sur les plaques (le gros truc en métal qui tient toutes les cordes), pour les polir et les peindre avant de les mettre dans le piano. Il lui demande combien de plaques il finit par jour : “Autant que je peux en faire parfaitement”. Le revendeur est interloqué et lui demande s’il a un superviseur. L’ouvrier ne comprend pas “c’est quoi un superviseur ?” puis “Pourquoi j’aurais besoin de quelqu’un pour s’assurer que mon job est bien fait ? C’est mon job.”
Le plus précieux dans cette anecdote, c’est de comprendre la logique sous-jacente au travail de cet ouvrier. Il n’est pas dans le temps des machines. Il est dans la Pratique. Son job ce n’est pas de faire x plaques par jour, c’est de sortir des plaques parfaites. Il y a sans doute des différences de plusieurs heures entre certaines plaques. Peu importe, la tâche n’est pas quantitative, elle est qualitative. Et pour faire un job de cette qualité, il faut être pleinement investi et présent à ce qu’on fait. Et être la bonne personne pour le job. Pour certaines personnes, même en étant ultra concentré, ce ne sera jamais le bon taf.
Faire comme un humain, ce n’est pas un jeu de rapidité, de qui a le mieux éteint son âme pour être plus efficace, ni de rogner sur tout ce qui te rend unique pour aller le plus loin possible.
C’est un jeu du coeur, comme dans l’expression “mettre son coeur à la tâche”, où tu as tout intérêt à reconnaître et mettre en avant ce qui te rend unique. Plus ce que tu fais et la façon de le faire te mettent en joie, plus c’est facile de faire de la qualité.
Dans le prochain article, on ira voir le GPS interne de tous les humains pour savoir si tu es au bon endroit ou pas, et si tu te respectes ou tu es en train de t’user.
En attendant, tu peux soutenir le projet en mettant un coeur, un commentaire à cet article, ou en invitant une personne à qui tu penses que ça plairait à découvrir The Miracle Grasse Mat.
Merci !
Parenthèse à l’usage des parents : si vous avez des enfants qui partent de la maison pour faire leurs études, ça ne mange vraiment pas de pain de leur offrir quelques séances de psy ou de coaching pour accompagner la transition et s’habituer à avoir des espaces de prise de recul et de partage. Evidemment si ça fait partie de la culture familiale, ça se fera d’autant plus facilement, mais de ma propre expérience, offrir à des ados / jeunes adultes des espaces pour se déposer et apprendre à s’écouter, c’est un des plus beaux cadeaux qu’on puisse leur faire.
Etonnamment, un rappel toujours utile à faire
Merci Laure. J'expérimente cette façon de respecter mon unicité et ma singularité en n'essayant pas de vouloir obtenir un résultat ou d'être dans une attente de résultat ou d'identification à l'extérieur et waou ça me procure de la paix et de la bienveillance pour moi-même. C'est doux et bon à l'intérieur! Je fais ce que j'ai à faire et fait véritablement confiance en la vie. (pas facile!!) Puisque tout est déjà là! En quelque sorte j'observe lorsque c'est ma survie qui prend le contrôle ou mon être. Et je vois lorsque je suis en lutte, je me repositionne alors en moi et accueil.....(enfin c'est pas toujours tout rose comme ça, mais de plus en plus je goûte à un autre possible, plus organique que mental et j'aime ce que je découvre!) Merci Laure pour tes écrits et podcast c'est très agréable et nourrissant ! bravo
Ah mais merci beaucoup pour cet article vraiment top. J'en suis là en ce moment et c'est chouette de voir le chemin parcouru. L'importance de l'être.